"C'est le président qui nous contraint à une campagne" : le drôle d'été de Lucie Castets, la candidate du NFP pour le poste de Première ministre

La directrice financière de la mairie de Paris enchaîne les interviews et les déplacements sur le terrain pour imposer son nom à Matignon. Mais elle se heurte à une actualité dominée par les JO et un président de la République qui n'a pas l'intention de la nommer.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
La candidate des partis de gauche pour Matignon, Lucie Castets, multiplie les interviews et les déplacements dans l'espoir de contraindre Emmanuel Macron à la nommer. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

France Inter, 8h20, le 24 juillet. La matinale la plus écoutée du pays reçoit à son micro une voix inconnue des Français, la directrice des finances de la ville de Paris, fervente défenseure des services publics. Mais depuis la veille, Lucie Castets a une autre ligne à ajouter à son CV : elle a été désignée par le Nouveau Front populaire (NFP) pour être sa candidate à Matignon. Après seize jours de négociations intenses, les chefs de partis de gauche, arrivés en tête lors des élections législatives anticipées, mais sans obtenir la majorité absolue à l'Assemblée nationale, se sont accordés sur son nom. 

Si Lucie Castets a déjà fait quelques médias, cette interview est d'une tout autre dimension pour celle qui a été approchée par Olivier Faure, le patron du PS, afin de porter les couleurs du NFP. "Cette idée de devenir Première ministre ne m’avait jamais effleurée, même en me lavant les dents", confie-t-elle au Monde. Dans les couloirs de la station de radio, on se souvient d'une Lucie Castets qui "lisait ses fiches" ce matin-là et qui était "très, très stressée au début", avant d'être "un peu plus à l'aise en fin d'interview". Ce qui ne l'empêche pas de tenter d'imposer un bras de fer à Emmanuel Macron. "Je demande au président de la République de prendre ses responsabilités et de me nommer Première ministre", déclare-t-elle avec aplomb. 

"Le point de convergence de toutes les gauches"

Le chef de l'Etat a pourtant fermé la porte à cette éventualité. Une heure après la désignation de Lucie Castets par la gauche, Emmanuel Macron est sur le plateau de France 2, le 23 juillet au soir, pour évoquer la situation politique, mais aussi les Jeux olympiques qui commencent dans quelques jours. "Le sujet n'est pas là. Le sujet n'est pas un nom donné par une formation politique", réagit le président, sans même nommer Lucie Castets. "Il est clair que jusqu'à la mi-août, nous devons être concentrés sur les Jeux puis, en fonction de l'avancée des discussions, ce sera ma responsabilité de nommer un ou une Première ministre", poursuit-il. Dans les rangs macronistes, on fustige au même moment le choix de Lucie Castets, "pas du tout sérieux". "Ça donne vraiment l'impression qu'ils ont pris une jeune énarque au hasard histoire de dire qu'ils avaient trouvé un nom", critique un conseiller du pouvoir. "Vous connaissiez Lucie Castets ?", ironise un député Renaissance. 

Ces critiques sur le manque de notoriété de la trentenaire agacent profondément à gauche. "Qui connaissait Jean Castex avant qu'il soit nommé ? Ou même Emmanuel Macron, deux ans avant qu'il soit président ?", cingle le député écologiste Benjamin Lucas. Face au refus du chef de l'Etat, Lucie Castets se met en mode campagne. La gauche espère que "la pression populaire" finira par s'imposer à Emmanuel Macron. 

"Face à cette situation hors norme, on invente des choses. C'est le président qui nous contraint à une campagne."

Benjamin Lucas, député écologiste

à franceinfo

Après France Inter, la voilà, le 25 juillet au matin, sur le plateau de BFM où elle promet de signer, dès son arrivée à Matignon, un décret reportant la mise en œuvre de la réforme portant à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite. Soucieuse de ne froisser aucune composante du NFP, elle botte en touche sur certains sujets, comme sur le nucléaire ou la présence des athlètes israéliens aux JO. "Elle est le point de convergence de toutes les gauches, elle doit rassembler, c'est ce qu'elle cherche à faire et c'est pour ça qu'elle pèse ses mots", défend le député PS Arthur Delaporte.

Deux jours plus tard, Lucie Castets se rend à Lille pour son premier déplacement de terrain. La séquence, organisée dans l'urgence, se déroule sans accroc. "Elle était assez à l'aise et souriante, pas trop stressée, mais très encadrée", se souvient un journaliste présent sur place.

Lucie Castets en visite à Lille, le 27 juillet 2024, aux côtés de la patronne des Ecologistes, Marine Tondelier, et du député LFI du Nord Aurélien Le Coq. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

A ses côtés, Marine Tondelier ne la quitte pas une seconde. "A partir de maintenant, s'il [Emmanuel Macron] refuse de nommer Lucie Castets, c'est du sabotage", lance la patronne des écologistes. Aurélien Lecoq, député LFI du coin, passe son temps à présenter aux quelque 200 personnes Lucie Castets comme "notre candidate à Matignon". Mis à part quelques curieux, ce sont surtout des militants qui se pressent autour de la nouvelle figure de la gauche. 

Les JO écrasent tout

La presse est présente, mais l'intérêt médiatique est ailleurs. Après des semaines entièrement consacrées aux soubresauts de la vie politique française, les caméras se tournent vers un événement planétaire qui a commencé la veille avec la cérémonie d'ouverture : les Jeux olympiques. A partir de ce moment, la campagne de Lucie Castets pour Matignon passe au second plan. "La période est dominée de façon importante par les JO et laisse peu de place pour l'actualité politique", reconnaît Arthur Delaporte. "Il est compliqué de manifester une pression populaire en plein mois d'août et en pleins JO", mais "Lucie Castets fait une très belle séquence dans ce contexte médiatique pas simple", nuance Benjamin Lucas. Les ténors du NFP, à l'image du patron du PCF, affichent également leur confiance. 

"La trêve olympique s'impose naturellement, bien sûr. Mais cela ne m'inquiète pas (...). Cela ne m'empêche pas de travailler pour préparer l'après-JO. Et l'accélération viendra en son temps, autour du 15 août."

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF

à franceinfo

Du côté des soutiens d'Emmanuel Macron, on remarque que Lucie Castets "a disparu". "Ce n'est pas cette campagne parfois hasardeuse qui va changer l'esprit des institutions", assure un proche du chef de l'Etat, qui a en tête l'absence de majorité absolue du NFP. Et le même d'ajouter : "Un Premier ministre doit pouvoir réunir une majorité large et stable, ce qui n'est pas le cas du NFP, du fait de la posture de LFI." De nombreuses forces politiques, à l'instar de LR, du RN ou de Renaissance, ont fait savoir que la présence de membres insoumis dans un gouvernement entraînerait une motion de censure immédiate. 

"Lucie Castets, avant de demander et exiger, devrait travailler à connaître le fonctionnement de notre démocratie et des règles associées, affirme de son côté la porte-parole du gouvernement démissionnaire, Prisca Thevenot. Le Premier ministre ne s'impose pas au président de la République, c'est ce dernier qui nomme le Premier ministre." Le député Renaissance Mathieu Lefèvre évoque même "une tentative de coup de force narratif pour imposer aux Français l'idée que [le NFP] serait majoritaire"

Malgré le contexte des JO, Lucie Castets poursuit sa tournée médiatique et ses déplacements. Le 28 juillet, elle donne ainsi une interview à La Tribune, dans laquelle elle se dit "au barycentre du Nouveau Front populaire" et assure qu'elle fera "des compromis sauf avec le RN".  Le 31 juillet, elle se rend, entourée de plusieurs représentants du NFP, dans l'usine Duralex, dont le projet de reprise en Scop a été validé par le tribunal de commerce d'Orléans, sauvant 226 emplois.

Lucie Castets en visite à l'usine Duralex, dans le Loiret, le 31 juillet 2024. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

Une visite de terrain appréciée par les syndicats. "On voulait parler de nous et on savait que si elle venait chez nous, on allait parler de Duralex, raconte Suliman El Moussaoui, délégué syndical CDFT. On a appris à la connaître, elle est abordable et elle comprend les enjeux du travail."

"Le pari" de Lucie Castets

Mais, le même jour, Lucie Castets doit affronter sa première polémique. Le Canard enchaîné révèle que la directrice financière de la Ville de Paris a posé des congés payés plutôt que de se mettre en disponibilité, son statut de fonctionnaire l'obligeant à un devoir de réserve. Le même jour, les élus parisiens de l'opposition envoient une lettre au procureur de la République de Paris évoquant "une violation de son devoir de réserve par ses prises de position politiques, ce qui l'expose, a minima, à une sanction disciplinaire". Interrogée par l'AFP, Lamia El Aaraje, porte-parole de la maire socialiste Anne Hidalgo, n'y voit rien à redire : "Nos services juridiques et RH ont fait une analyse, suite à la sollicitation de Lucie Castets, et n'ont pas relevé de problématique juridique."

Les partisans d'Emmanuel Macron embrayent tout de même. "Quand on est fonctionnaire, on a bien sûr le droit de militer dans un parti, admet Prisca Thevenot. Mais si l'on veut exprimer et porter ses opinions sans réserve, alors ce n'est pas compatible avec le statut de fonctionnaire. Sauf à se mettre en disponibilité… Elle préfère prendre des congés." Dès le lendemain, sur RTL, Lucie Castets se défend. "Ma situation personnelle, elle est très claire, et évidemment, je me suis assurée que tout était en ordre, assure-t-elle. S'il le faut, le moment venu, je me mettrai en disponibilité."

En pleins JO, la controverse ne prend pas et Lucie Castets continue d'enchaîner sa tournée média. Elle s'adresse, le 6 août, à la presse quotidienne régionale avec une interview à Sud-Ouest dans laquelle elle se dit "au travail". Mais c'est un entretien à Paris-Match qui est beaucoup plus commenté : elle y révèle être mariée à une femme et avoir un enfant. L'hebdomadaire de Vincent Bolloré est souvent choisi par les politiques pour lever le voile sur leur vie privée. Il s'agit de faire, en quelques semaines, "une campagne de notoriété", assure Arthur Delaporte. Cela suffira-t-il ? "On ne peut pas faire beaucoup plus que ça, on ne peut pas être responsables à la place du chef de l'Etat", glisse le socialiste. Lucie Castets "espère qu'en surnageant le temps d'un été, elle s'imposera à Macron à la rentrée. Et restera la préférence de la gauche. Au risque d'agacer avant même d'être nommée, observe le spécialiste de la communication politique Raphaël Haddad. C'est un pari."

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