Déficit public : "la tentation" d'une taxation des superprofits fait son chemin au sein de la majorité

Après les prises de position de François Bayrou et de Yaël Braun-Pivet, l'exécutif s'interroge sur cette piste afin d'augmenter les recettes de l'Etat. Mais le parti d'Emmanuel Macron reste divisé sur la question.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
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Le président du MoDem, François Bayrou, et Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, à Blois (Loir-et-Cher), le 24 mars 2024. (SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP)

L'annonce était attendue. Redoutée, même. L'Insee a révélé, mardi 26 mars, que le déficit public de la France s'établissait à 5,5% du produit intérieur brut (PIB) en 2023, soit 0,6 point de plus que les prévisions du gouvernement. La mauvaise nouvelle, causée par des "recettes fiscales bien moins élevées que prévu", selon le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, pousse le camp présidentiel à s'interroger. Comment corriger le tir et tenter de minimiser le déficit dès cette année ? 

"J'attends de voir des propositions crédibles", a lancé Gabriel Attal, mercredi soir, sur TF1. La majorité n'a pas attendu l'appel du Premier ministre pour commencer à phosphorer. Interrogée sur France Bleu vendredi, Yaël Braun-Pivet s'est déclarée favorable à une réflexion sur la taxation des "superprofits", assimilés à d'importants profits réalisés par les plus grandes entreprises en raison de l'état du marché et non de leurs investissements particuliers. En les ciblant, l'objectif de la présidente de l'Assemblée nationale est d'augmenter "les recettes exceptionnelles de l'Etat".

"Je suis partisane de regarder lorsqu'il y a des superdividendes, des superprofits, des rachats d'actions massifs par les entreprises."

Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale

sur France Bleu

Cette position d'une figure de Renaissance se rapproche de celle d'un autre pilier de la majorité, le MoDem. Les élus du parti centriste demandent "depuis déjà plusieurs exercices budgétaires qu'on explore cette voie-là", a rappelé François Bayrou sur RTL, lundi matin.

Le président du groupe MoDem à l'Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, était parvenu à faire adopter un amendement en ce sens, à l'automne 2022. Il visait à taxer à 35% les superdividendes excédant de 20% la moyenne de ceux versés au cours des cinq dernières années. A l'époque, 19 députés Renaissance l'avaient voté. Mais le gouvernement n'avait pas inclus cette disposition dans le budget définitif de l'année 2023.

"Certains sont assez convaincus"

Un an et demi plus tard, le MoDem défend toujours cette idée-là. "Je préfère taxer les superdividendes que les superprofits", distingue Jean-Paul Mattei auprès de franceinfo. Les premiers sont perçus par les actionnaires d'une entreprise. Les seconds sont réalisés par l'entreprise elle-même, et peuvent donc servir à rémunérer les actionnaires, mais aussi à réaliser des investissements dans l'entreprise, par exemple.  

Pour les soutiens de François Bayrou, il s'agit désormais de persuader leurs collègues de la majorité. "Certains sont assez convaincus. Maintenant, ça nécessite de mener une explication et de voir les effets de bord potentiels", explique le dirigeant de groupe. "Il y a encore de la résistance, mais c'est moins ferme que d'habitude. Ils ont fait un tour de clé dans le sens de l'ouverture", image-t-on dans les rangs du MoDem.

Qu'en est-il vraiment dans les rangs de Renaissance ? "Très certainement, cette idée gagne du terrain, et même peut-être chez Horizons [le parti d'Edouard Philippe]", affirme un député opposé à ces taxes. "Il y a trois blocs", résume un parlementaire qui, lui, soutient ces mesures. Le premier regroupe les députés qui soutiennent la ligne inflexible de Bruno Le Maire, pourfendeur de ces mesures. Le deuxième groupe rassemble ceux qui "veulent que ça change" et sont ouverts à une taxation des superprofits. Enfin, le troisième est composé de "ceux qui hésitent".

"Une fausse bonne idée", pour l'aile droite de Renaissance

Les parlementaires réfractaires aux superprofits préfèrent mettre en avant la contribution sur la rente inframarginale (CRI), une taxe exceptionnelle lancée en 2023 sur les profits des énergéticiens, qui ont fortement augmenté ces dernières années avec la hausse des prix de l'énergie. Thomas Cazenave, ministre des Comptes publics, a annoncé mercredi sur Public Sénat que le gouvernement allait "revoir le dispositif" de cette taxe. "Elle rapporte trop peu par rapport à ce qu'on attendait. On attendait 3 milliards, on n'a eu que 600 millions. (...) On peut espérer 1 milliard de plus en 2024." "On est ouvert à le faire", a déclaré le ministre de l'Industrie, Roland Lescure, mercredi, sur franceinfo. "Quand une rente tombe du ciel, il est normal qu'on la partage avec les Français."

"La tentation existe parce qu'on vit un moment où il faut prendre des décisions pas évidentes, analyse le député de Saône-et-Loire Louis Margueritte, proche de la ligne du ministre de l'Economie. Mais c'est typiquement la fausse bonne idée", assure-t-il, car cela "sera perçu comme une augmentation des impôts" et "cela ne rapporte jamais ce qu'on a prévu au début"

"Je vois l'aspect symbolique de ces mesures, mais on perdrait la lisibilité de notre politique."

Louis Margueritte, député Renaissance de Saône-et-Loire

à franceinfo

Au final, même si elle progresse, l'idée semble néanmoins loin d'aboutir. Peut-elle s'inviter dans les débats autour d'un projet de loi de finances rectificatif (PLFR) à l'été, en raison de la situation très difficile des finances publiques ? Ou sera-t-elle abordée au moment du traditionnel projet de loi de finances (PLF) pour 2025, débattu à l'automne ? "On ferait de meilleures choses dans un PLF, avec un spectre plus large, mais je ne sais pas dans quelle situation on sera à l'automne", tente d'anticiper Jean-Paul Mattei. 

Avant ce rendez-vous, un débat sur le déficit et les finances publiques aura lieu à l'Assemblée nationale, le 29 avril, après une demande du président La France insoumise de la commission des finances, Eric Coquerel. "Il faut qu'on se positionne, car le débat mérite d'être posé", soutient Jean-Paul Mattei.

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