Budget 2025 : pourquoi le Sénat est en position de force pour imprimer sa marque sur le projet de loi
Nouvelle étape du marathon budgétaire : le projet de loi de finances pour 2025 est examiné à partir du lundi 25 novembre au Sénat. Après avoir été largement amendé et remanié par les députés, le volet recettes a finalement été rejeté lors d'un vote à l'Assemblée le 12 novembre. Les nombreux amendements adoptés par l'opposition pour détricoter la copie du gouvernement ont donc fini à la poubelle, et le texte a été envoyé à la chambre haute dans sa version initiale, celle du gouvernement. Pour les sénateurs, majoritairement issus du "socle commun" qui forme le gouvernement Barnier, c'est une occasion de profiter du nouveau rapport de force politique pour réécrire le budget.
L'alliance centre-LR rebat les cartes
S'il a dû composer avec une Assemblée tripartite, au Sénat, le gouvernement peut compter sur une majorité confortable, grâce à l'addition des sièges de la droite et du centre, soit cinq groupes réunissant 245 fauteuils sur 348. "Contrairement à l’Assemblée nationale, où il n’y a pas de majorité claire (...), ici [au Sénat] il y a une majorité claire qui accompagnera l’action du gouvernement", s'était d'ailleurs réjoui Michel Barnier devant les sénateurs fin septembre.
Ce n'était pas le cas pour le précédent gouvernement, puisque la droite, majoritaire au Sénat, se plaçait dans l'opposition à Emmanuel Macron. "Quand vous êtes dans l'opposition, vous existez moins, on était quantité négligeable", se rappelle le rapporteur Les Républicains (LR) du budget Jean-François Husson.
L'alliance entre les macronistes et LR a rebattu les cartes, et c'est l'heure du premier test pour cette coalition. Le Premier ministre a d'ailleurs cherché à cajoler les principaux ténors du palais du Luxembourg. Plusieurs réunions ont été organisées pour réunir autour de lui le président LR du Sénat, Gérard Larcher, Jean-François Husson, tous les rapporteurs de la commission des finances issus de la majorité sénatoriale ainsi que les rapporteurs pour avis des autres commissions.
La perspective d'un compromis
Une occasion d'afficher l'unité des partenaires du "socle commun", loin des divergences et du manque de coordination observés entre les macronistes et la droite lors du débat à l'Assemblée. "Avec les sénateurs du 'club des cinq', on essaie de mettre un peu de fluidité et de complicité. On n'était pas forcément amis-amis, mais on est dans une alliance de gouvernement. On est très nombreux et on va travailler ensemble, en lien avec Matignon et Bercy", raconte Jean-François Husson.
Les sénateurs alliés assument en effet quelques désaccords sur le budget, notamment sur certaines hausses de cotisations ou d'impôts. "On va défendre la ligne macronienne de la politique de l'offre, même si nous ne sommes que 20 contre 240", promet François Patriat, chef de file des sénateurs macronistes, inquiet face à une éventuelle hausse du coût du travail, mais prêt à faire des concessions à la droite. Ces sujets de désaccords ne sont pas de nature à paralyser les discussions ou à détricoter la copie du gouvernement, comme cela a été le cas à l'Assemblée. "Ici, on n'a pas d'extrêmes, on se connaît tous, on se respecte et on se parle", insiste François Patriat. "Et puis le Sénat doit prendre ses responsabilités ; pour la première fois, c'est lui qui est en capacité de faire le budget", vante le sénateur de Côte-d'Or.
Ce contexte devrait permettre aux sénateurs de travailler ensemble et d'amender ce budget. "La culture du consensus a toujours été l'apanage du Sénat, où les groupes du centre sont traditionnellement bien représentés", souligne l'historien Jean Garrigues, qui rappelle que cela avait permis aux sénateurs de peser sur la réforme de l'immigration fin 2023, après son rejet par l'Assemblée nationale. "Ils peuvent permettre à Michel Barnier d'avancer sur le budget, mais à leurs conditions, poursuit l'universitaire. Cela montre l'influence du Sénat, qui est depuis quelques années revalorisé, avec une nouvelle légitimité, y compris médiatique."
Imposer des "marqueurs", notamment sur les collectivités
Parmi les lignes rouges des sénateurs figure la défense des collectivités locales, qu'ils représentent. Quand le gouvernement veut leur imposer un effort budgétaire de cinq milliards d'euros, le président du Sénat, Gérard Larcher, plaide dans Le Journal du dimanche pour le réduire à deux milliards. "Il y aura un soutien loyal et exigeant au gouvernement, mais on est aussi une assemblée indépendante, qui aura des marqueurs, corrigera des choses", prévient Jean-François Husson. Pour s'assurer que leurs marqueurs soient durables, les sénateurs anticipent déjà la prochaine étape, celle de la commission mixte paritaire (CMP), un organe parlementaire mis en place pour trancher les désaccords entre l'Assemblée et le Sénat.
Lors de la réforme de l'immigration, la CMP s'était largement inspirée du texte voté par les sénateurs. Pour répéter ce scénario, les élus tentent de trouver des consensus. "L'objectif, c'est d'avoir le plus de pistes possibles pour la CMP, donc on regarde ce qui a fait l'objet de convergences à l'Assemblée", explique-t-on au groupe LR au Sénat.
A l'Assemblée nationale justement, l'influence des sénateurs sur le budget ne fait pas que des heureux, y compris au sein du "socle commun". Une députée et ancienne ministre Ensemble pour la République confie être très "angoissée d’être effacée au profit du Sénat". Le résultat du vote, le 12 décembre, donnera une idée plus concrète du poids des sénateurs sur ce budget 2025. Mais il faudra attendre l'issue de la CMP pour voir s'il a durablement imprimé sa marque sur ce texte.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.