Pourquoi le congrès du Parti socialiste n'intéresse personne
Les militants socialistes votent, jeudi, pour désigner la motion qui sera amenée à prendre la direction du parti lors du congrès qui débutera le 5 juin à Poitiers. Mais, contrairement aux précédentes éditions, les débats s'annoncent moins électriques.
Il est des mots qui rappellent aux militants socialistes des moments désastreux comme des souvenirs vibrants. Le terme "congrès" en fait partie, tant il évoque des pugilats politiques inoubliables, ou des élections pleines d'espoir. Toutefois, le futur congrès du PS, qui se tiendra à Poitiers (Vienne) du 5 au 7 juin, lui, ne semble soulever ni crainte ni enthousiasme, au sein du parti comme en-dehors.
Alors que les militants votent, jeudi 21 mai, à partir de 17 heures, pour désigner la motion qui définira l'orientation politique du Parti socialiste jusqu'à la fin 2017, francetv info se penche sur les raisons de ce désintérêt pour cette grand-messe socialiste.
Parce que les motions se ressemblent toutes
Dans leurs intitulés, les quatre motions présentées aux militants ont choisi un champ lexical radical : "Renouveau socialiste" pour la motion A (portée par l'actuelle direction du parti), "A gauche, pour gagner !" pour la motion B des frondeurs, ou encore "Osons un nouveau pacte citoyen et républicain" pour la motion C. Seule la motion D, sobrement baptisée "La Fabrique", échappe à la règle. A la lecture des textes, l'enthousiasme retombe assez vite.
D'abord, et sans grande surprise, toutes les motions ont mis l'économie, et le "besoin de résultats", en tête de leurs préoccupations, comme le souligne Libération. L'impression de déjà-vu persiste lorsque l'on constate que chaque paragraphe pourrait s'intégrer dans n'importe quelle motion sans provoquer un quelconque déséquilibre. Les termes se répètent inlassablement : "cohésion" et "renouveau" du parti, respect des "valeurs de gauche", "l'écologie" brandie en solution économique, "réorientation" de l'Europe, ou encore la bataille pour "l'égalité"…
Mais ce qui frappe le plus, c'est que toutes les motions s'autorisent une critique, à des degrés divers, de la politique menée par la majorité. Même la motion A (signée par Manuel Valls et les membres du gouvernement) reconnaît que "notre politique a perdu en lisibilité", et appelle à "corriger ce qui doit l'être".
Parce que les jeux semblent joués d'avance
Les congrès socialistes réservent souvent des surprises. Cette fois, il ne fait quasiment aucun doute que la motion A de Jean-Christophe Cambadélis sortira majoritaire à l'issue du scrutin.
"Cambadélis a réussi à monter une motion de synthèse, en parvenant à faire signer un même texte à Manuel Valls, aux membres du gouvernement et à Martine Aubry, analyse Gérard Grunberg, politologue au centre d'études européennes de Sciences Po, interrogé par francetv info. En y inscrivant des critiques de l'exécutif, comme le refus du travail du dimanche par exemple, il a privé les frondeurs d'apparaître comme les seuls opposants au gouvernement."
Au final, comme le détaille le JDD, l'objectif de la motion A est moins de gagner que de l'emporter largement, avec au moins 55% des voix, histoire d'asseoir la légitimité apportée par les poids lourds qui la soutiennent. Les frondeurs, eux, sont crédités de 25% à 35% des votes, quand "La Fabrique" table sur un score compris entre 10% et 20%, d'après Europe 1.
Parce que Hamon, Filippetti et les frondeurs
ne se font guère entendre
Comme l'explique, dans les colonnes de Sud Ouest, le député Christian Paul, chef de file de la motion des frondeurs, les militants risquent d'être un peu perdus tant la motion A "a une fonction de paravent face aux contradictions évidentes de signataires qui ne partagent pas les mêmes idées". En clair, tout le monde critique le gouvernement, seuls les frondeurs s'y opposeraient vraiment.
Mais si la motion B peine à se faire entendre, c'est aussi à cause de la relative discrétion des personnalités médiatiques qui y ont associé leurs signatures. Les anciens ministres Benoît Hamon et Aurélie Filippetti brillent notamment par leur silence. L'ancien ministre de l'Education a bien lancé quelques piques à l'encontre du camp de Cambadélis, mais il n'a pas franchement mis sa notoriété au service de la gauche du PS.
"Il n'en a pas le pouvoir, analyse Gérard Grunberg. Il paye non seulement son passé au gouvernement, ce qui le disqualifie chez les frondeurs, mais aussi le fait qu'il soit en froid avec Martine Aubry. Aurélie Filippetti, elle, n'a pas le leadership suffisant pour assurer cette tâche. Du coup, Montebourg étant absent, les frondeurs se retrouvent menés par Christian Paul, qui est loin d'être un leader très connu."
Parce que Martine Aubry est rentrée dans le rang
Depuis 2012, chaque bataille interne au Parti socialiste est l'occasion de présenter Martine Aubry comme la possible figure de proue d'une alternative au courant dominant. Mais cette fois encore, la maire de Lille (Nord) s'est ralliée à la direction en place, en paraphant la motion A, au grand regret des frondeurs, qui comptent beaucoup d'aubrystes dans leurs rangs.
Un ralliement largement négocié en coulisses. Le camp Aubry a exigé que la motion se montre critique contre la tendance libérale de l'exécutif, obtenant notamment une demande d'"efforts d'investissements supplémentaires" au gouvernement. "Il faut surtout se rappeler qu'Aubry et Cambadélis ont été proches, ajoute Gérard Grunberg. Avec 'Camba' à la tête du PS, elle peut se faire entendre et évite d'endosser le rôle de première opposante à gauche."
Et François Hollande s'est lui-même impliqué dans ces tractations. "Il suit le sujet au jour le jour, raconte Caroline Roux, journaliste politique sur Europe 1. Quand vous en parlez avec lui, il avoue qu'il s'est 'occupé personnellement de Martine', comme il dit. Il est fier de raconter que c'est lui qui, en coulisses, a œuvré pour le rapprochement avec la maire de Lille, pour que le congrès ne tourne pas à une bataille Valls-Aubry. Il est plus qu'un simple spectateur."
Parce que les militants ont le moral à zéro
Les temps sont durs pour les militants socialistes, forcés de défendre un président de la République et un Premier ministre pointés du doigt par une large majorité de Français, alors même qu'ils ne sont pas toujours d'accord avec le gouvernement. "Je ne suis pas satisfaite de tout, mais il faut qu'on soit derrière eux", résume une militante dans Le Parisien.
"Le retour de Nicolas Sarkozy a changé la donne, car il a réactivé le clivage gauche-droite, estime Gérard Grunberg. Les militants ont intérêt à défendre leur parti, à jouer le rassemblement. Ils sont majoritairement hostiles à Valls, mais ont accepté la candidature de Hollande pour 2017." La motion A, celle de la continuité, devrait profiter de cette situation.
Alors que le nombre de militants actifs a baissé de 25% depuis 2012, la principale crainte vient d'une possible forte abstention à l'occasion du vote pour le congrès. Dans les colonnes du Parisien, pour inverser la tendance, Jean-Christophe Cambadélis appelle ses troupes à "arrêter de se regarder le nombril" et à "se tourner vers les Français". Les intéressés apprécieront.
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