Cet article date de plus de deux ans.

Chantage à la "sextape" à la mairie de Saint-Etienne : ce que l'on sait de l'affaire, après le placement en garde à vue du maire Gaël Perdriau

Les Républicains ont lancé une procédure d'exclusion à l'encontre du maire de Saint-Etienne, accusé de chantage par son ex-premier adjoint, Gilles Artigues, après des révélations de Mediapart.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Gilles Artigues et Gaël Perdriau lors de la séance d'installation du conseil municipal de Saint-Etienne (Loire), le 3 juillet 2020. (MAXPPP)

Un scandale politique secoue la ville de Saint-Etienne (Loire). Selon les révélations de Mediapart, le premier adjoint centriste de la ville entre 2014 et 2022, Gilles Artigues, a été victime d'un chantage politique pendant huit ans. Le site d'information révèle qu'il a été piégé et filmé à son insu en compagnie d'un escort-boy par l'entourage de l'actuel maire Les Républicains (LR), Gaël Perdriau.

Après le dépôt de plainte de Gilles Artigues le 29 août, une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Lyon pour "atteinte à l'intimité de la vie privée, chantage aggravé, soustraction de bien public par une personne chargée d'une fonction publique, abus de confiance et recel de ces infractions". Des perquisitions ont eu lieu à la mairie, lundi 5 septembre. Dernier rebondissement en date : l'édile et quatre autres personnes ont été placés en garde à vue, mardi 13 septembre. L'ensemble des gardes à vue ont été levées en fin de journée. Voici ce qu'il faut savoir de cette affaire.

Gilles Artigues, ex-adjoint au maire de Saint-Etienne, victime de chantage à la vidéo intime

Selon Mediapart, l'affaire remonte à l'hiver 2014 et implique deux protagonistes principaux en plus de Gilles Artigues : Samy Kéfi-Jérôme, à l'époque élu au sein du conseil municipal de Saint-Etienne et désormais conseiller régional en Auvergne-Rhône-Alpes, et son ex-compagnon Gilles Rossary-Lenglet, à l'origine des révélations.

Selon le récit de Mediapart, les deux protagonistes ont profité d'une réunion à Paris pour filmer, à son insu, Gilles Artigues dans une chambre d'hôtel en compagnie d'un escort-boy. "Une caméra a été glissée dans un coin d'une chambre d'hôtel, sans que Gilles Artigues n'en soit informé", écrit ainsi Mediapart. L'escort-boy payé par Samy Kéfi-Jérôme n'était pas au courant de ce piège.

"Après cette soirée à l'hôtel, Samy Kéfi-Jérôme rentre à Saint-Etienne avec une vidéo brute de 30 minutes 33 secondes dans laquelle l'escort procède à un massage érotique de Gilles Artigues. L'élu y apparaît nu sur le lit, l'escort torse nu. Le film ne montre aucune relation sexuelle, mais son contenu est suffisamment compromettant pour le premier adjoint", détaille Mediapart.

Selon le média d'investigation, cet enregistrement a ensuite servi à faire chanter Gilles Artigues, "père de famille très impliqué dans la communauté catholique", afin que la vidéo compromettante ne soit pas diffusée. L'objectif ? "Contenir l'influence de l'élu centriste ", affirme Mediapart, mais également éviter "une dissidence politique". En 2008, sa candidature au second tour des élections municipales avait divisé la droite et contribué à l'élection de Maurice Vincent (PS).

Le maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, mis en cause par l'un des protagonistes

Gaël Perdriau est-il lié à ce chantage ? Et si oui, à quel point ? C'est l'un des enjeux de cette affaire. Gilles Rossary-Lenglet affirme à Mediapart que le maire LR de Saint-Etienne et son directeur de cabinet, Pierre Gauttieri, sont à la manœuvre. "Après les municipales de 2014, Gaël [Perdriau] et son directeur de cabinet ont assez vite dit qu'il fallait gérer Gilles Artigues et son groupe centriste énorme au sein de la majorité, explique dans un premier temps Gilles Rossary-Lenglet. Ils ont mandaté Samy [Kéfi-Jérôme] pour montrer la courte vidéo [à l'élu centriste]. Le message était clair : il ne fallait pas que Gilles Artigues fasse d'écart s'il ne voulait pas que la vidéo sorte", accuse-t-il ensuite.

Il assure par ailleurs avoir touché avec Samy Kéfi-Jérôme "50 000 euros" de la part de la municipalité, via des subventions versées à des associations stéphanoises qui l'auraient ensuite rémunéré. Gaël Perdriau et Pierre Gauttieri contestent tous les deux avoir été informés de cette opération.

Samy Kéfi-Jérôme a fait valoir la protection de sa "vie privée" pour refuser de répondre aux questions de Mediapart, tout en dénonçant des "affabulations" de son ex-compagnon. Gilles Rossary-Lenglet a, lui, expliqué à Mediapart qu'il n'avait "plus rien à perdre" à évoquer cette affaire, qu'il qualifie d'acte de "barbouzage".

Une plainte déposée par Gilles Artigues

Trois jours après la sortie de l'enquête de Mediapart, une plainte pour "chantage aggravé, guet-apens en bande organisée, détournement de fonds publics et non-dénonciation de faits délictueux" a été déposée, le 29 août, par Gilles Artigues, selon le procureur de la République de Saint-Etienne, David Charmatz. Elle vise Gilles Rossary-Lenglet et Samy Kéfi-Jérôme, ainsi que Gaël Perdriau.

Interrogé par l'AFP sur le caractère tardif de la plainte de son client, l'avocat de Gilles Artigues, André Buffard, explique qu'"au départ, Gilles Artigues n'a pas eu conscience de ce qui s'était réellement passé dans cette chambre d'hôtel", ayant notamment le sentiment d'avoir été drogué. Puis il a cédé au chantage "par souci de préserver sa famille et ses proches".

Gilles Artigues évoque un chantage qui lui a "pourri la vie"

Gilles Artigues, qui a démissionné en mai dernier de ses fonctions de premier adjoint, a réagi sur son compte Facebook, affirmant que ce chantage lui avait "pourri la vie". "Je tiens à vous remercier pour les centaines de messages de soutien que vous m'avez adressés depuis la révélation par Mediapart de la machination dont j'ai été victime. Cette vie qui est si belle et que j'ai plusieurs fois songé à quitter, tant j'étais désespéré", dit celui qui avait brusquement interrompu au printemps sa campagne pour les législatives en dépit de son investiture LR-UDI.

La députée Nupes de la Loire, Andrée Taurinya, dont la 2e circonscription couvre la ville de Saint-Etienne, a exprimé son "profond dégoût" et dénoncé un "ignoble chantage homophobe". Le cabinet de la région Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé la mise en retrait de Samy Kéfi-Jérôme, jusque-là conseiller délégué à la stratégie digitale.

Gaël Perdriau conteste des "accusations ignobles et infamantes"

Le maire de Saint-Etienne a assuré n'avoir "à ce stade aucun commentaire à faire sur une vidéo" qu'il affirme ne pas voir vue. Il "conteste fermement toute notion de chantage contre Gilles Artigues".

Les avocats de Gaël Perdriau ont réagi, annonçant des "procédures permettant (...) de faire sanctionner, sur le terrain de la diffamation et sur celui de la dénonciation calomnieuse, les graves atteintes à l'honneur et à la probité" de leur client. L'édile, qui conteste "l'ensemble de ces accusations ignobles et infamantes", veut "pouvoir s'expliquer dans les plus brefs délais pour porter à la connaissance des enquêteurs la totalité des informations dont il dispose".

Des enregistrements contredisent la défense du maire

Mediapart a publié, mardi 6 septembre, des extraits de conversations sous forme d'enregistrements sonores remontant au printemps 2022. Ils impliquent Gilles Rossary-Lenglet, Pierre Gauttieri et Gaël Perdriau. On y entend le maire de Saint-Etienne prononcer la phrase suivante : "Il y a des choses que vous avez faites ensemble. Par exemple, le coup d'Artigues, vous étiez deux." De quoi laisser penser que l'élu LR était bien au courant de l'existence de cette vidéo. Dans une autre séquence, il déclare : "Si les choses [la vidéo] sont sur la table, il [Gilles Artigues] est mort".

Interviewé sur France Inter après ces nouvelles révélations, Gaël Perdriau a affirmé avoir eu vent "d'une rumeur qui évoquait cette vidéo, comme il y avait d'autres rumeurs concernant Gilles Artigues", et se dit victime d'une "terrible machination" qui vise à le salir.

Une deuxième série d'enregistrements diffusée par Mediapart

Le site d'investigation a publié de nouveaux extraits d'enregistements sonores lundi 12 septembre. Ces captations ont été réalisées par Gilles Artigues lui-même au cours de deux réunions à la mairie en novembre 2017 et en juillet 2018, et ont été transmises aux enquêteurs, selon Mediapart.

Dans l'une d'elles, on entend le maire de Saint-Etienne échanger avec Gilles Artigues au sujet de la vidéo. Gaël Perdriau déclare avoir connaissance de l'existence de cette vidéo qui lui serait parvenue par une "clé USB" qui lui aurait été "livrée". Le maire menace d'en révéler le contenu par "petits cercles" et "avec parcimonie". "Une fois que c'est sur les réseaux, c'est plus du chantage. C'est une exécution", ajoute-t-il.

Dans une autre conversation enregistrée, c'est au tour du directeur de cabinet Pierre Gauttieri de menacer de propager la vidéo, lors d'un échange en présence du maire. L'homme assure être prêt à la diffuser auprès des parents d'élèves des établissements où sont scolarisés les enfants de Gilles Artigues. "Je pense que vos enfants ne s'en remettront pas", déclare-t-il. "J'ai une vidéo de vous le cul à l'air avec un mec. Le très catholique député Gilles Artigues, très bon père de famille, dans un truc comme ça ? Allez-y, allez vous expliquer aux électeurs", menace Pierre Gauttieri, tout en assumant être "sans foi, ni loi" et se comporter "comme un criminel". Lorsque l'adjoint répond que ce chantage est passible de prison, Pierre Gauttieri conclut : "Si le fait que j'aille en taule vous fait tomber parce que vous passez pour une vieille pédale sur le retour, je n'en ai aucun problème." Sollicités, Gaël Perdriau et Pierre Gauttieri n'ont pas répondu aux questions de Mediapart.

Une procédure d'exclusion des Républicains

Gaël Perdriau va être exclu du parti, a annoncé le secrétaire général de LR, Aurélien Pradié, mardi 13 septembre à franceinfo. "Les Républicains ne peuvent que condamner les méthodes ignobles utilisées par le maire de Saint-Etienne à l'encontre d'un rival politique", explique le parti dans un communiqué, mardi.

La procédure d'exclusion à l'encontre de celui qui ne détenait qu'une "simple carte d'adhérent" a été lancée par la présidente du parti, Annie Genevard, à la demande de l'antenne locale de LR dans la Loire. Elle doit cependant encore être "prochainement" validée par le bureau politique du parti, précise le communiqué.

Cinq personnes en garde à vue

Cinq personnes ont été auditionnées en garde à vue, mardi 13 septembre, dans le cadre de l'information judiciaire, a appris franceinfo de source proche de l'enquête. Outre le maire, son directeur de cabinet, Pierre Gauttieri, la directrice de cabinet adjointe Claire Vocanson, ainsi que Gilles Rossary-Lenglet et Samy Kéfi-Jérôme sont également en garde à vue. 

Gaël Perdriau s'était fait excuser mardi matin d'un point presse à Saint-Etienne en faisant savoir qu'il était "auditionné à sa demande" et "pour que la vérité éclate" face à ces accusations, comme l'a expliqué son premier adjoint Jean-Pierre Berger. Le maire avait dit à son premier adjoint qu'il abordait ces auditions "avec sérénité".

L'ensemble des gardes à vue ont été levées en fin de journée. "Ces auditions avaient pour objet de recueillir les premières déclarations des principaux protagonistes de cette affaire et notamment celles de ceux qui s’étaient exprimés dans les médias au cours des dernières semaines", explique le parquet.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.