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Vidéo Enquête sur les fractures françaises : "La souffrance sociale ne vient pas percuter directement le bonheur privé"

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Article rédigé par franceinfo
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franceinfo révèle mardi une étude de l'Institut Elabe sur le poids de la fracture sociale en France : pour le président de l'institut, Bernard Sananes, si la crise du pouvoir d'achat est intense, le bonheur privé maintient un cocon de vie dans lequel les Français, avec des intensités différentes en fonction de leur situation, déclarent qu’ils sont heureux.

"La souffrance sociale n’a jamais été aussi forte" mais elle "ne vient pas percuter directement" le "bonheur privé" des Français, "c’est comme si deux cercles différents se confrontaient", a analysé mardi 19 février Bernard Sananes, président de l'institut Elabe, alors que franceinfo révèle aujourd'hui une étude menée par le cabinet d'étude sur le poids de la fracture sociale en France. La population française y est présentée selon quatre catégories : les "affranchis", les "enracinés", les Français qui vivent "sur le fil" et les "assignés".

franceinfo : Les Français disent d’abord qu’ils sont très heureux. C'est surprenant ?

Bernard Sananes : Oui, et c’est encore plus étonnant au moment où nous faisons le constat dans cette étude que la souffrance sociale n’a jamais été aussi forte. Ce bonheur privé se maintient, maintient un cocon de vie, dans lequel les Français, avec des intensités différentes en fonction de leur situation, déclarent qu’ils sont heureux. Qu’ils ont plutôt le sentiment d’avoir choisi leur vie, qu’ils ont, aux deux tiers, plutôt un équilibre entre la vie professionnelle et familiale. Deux tiers déclarent aussi qu’il fait bon vivre dans leurs quartiers. La souffrance sociale ne vient pas percuter directement ce bonheur privé, c’est comme si deux cercles différents se confrontaient. Mais dès que l’on sort de cette sphère personnelle, à ce moment-là la situation se tend très fortement.

Quand on interroge les Français sur leur pouvoir d’achat, un sur deux dit vivre des fins de mois difficiles avec un sentiment très fort de déclassement...

C’est le "c’était mieux avant", qui se double d’une incapacité à se projeter dans l’avenir. On a le sentiment majoritaire que nos enfants vivront moins bien que nous. Cette crise du pouvoir d’achat est intense. Plus d’un tiers des Français déclarent avoir été au cours des douze derniers mois régulièrement à découvert, et ils l’ont été en moyenne le 18 du mois. Plus d’un tiers des Français disent aujourd’hui qu’ils sont obligés de choisir systématiquement les prix les plus bas quand il s’agit des courses alimentaires. Cette pression sur le pouvoir d’achat est extrêmement large, se vit au quotidien, et rend le quotidien des Français extrêmement dur.

Vous avez séparé la population en quatre catégories. Les plus heureux sont ceux que vous appelez les "affranchis". C’est la mondialisation heureuse ?

Ils sont les plus heureux dans la vie, ils ont une vie sociale plus riche. Par exemple ce sont eux qui maitrisent le mieux le numérique, mais aussi l’anglais. Ils sont confiants dans leur avenir personnel. Ils n’ignorent pas pour autant la souffrance sociale : un sur deux dit quand même que la société est injuste. Pour eux tout va bien. Ils peuvent profiter des opportunités de l’Europe, de la mondialisation et de la digitalisation.

Deuxième catégorie : les "enracinés". Qui sont-ils ?

Ils ont fait le choix résolu de l’enracinement dans le territoire, alors que les affranchis peuvent l’abandonner. Les enracinés sont heureux de vivre là où ils ont choisi de vivre, il fait bon vivre dans leur quartier. Ils s’y sentent d’ailleurs en sécurité. Souvent ce sont des habitants plus ruraux, ou de toutes petites villes. On en trouve beaucoup en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, beaucoup ont plus de 50 ans. Ils ont le sentiment que la vie qu’ils ont construite, qu’ils ont choisie, peut être percutée par la contrainte sur le pouvoir d’achat : ils ont vécu par exemple très durement la hausse de la CSG.

Troisième catégorie : les Français "qui vivent sur le fil"…

Ce sont quand même eux les plus nombreux, près d’un tiers. Ils ressemblent à la moyenne des Français. Ils ont une absence de mobilité sociale et géographique qui est subie. Ils sont moins heureux, ils ont moins le sentiment d’avoir choisi la vie qu’ils mènent. La moitié a du mal à boucler ses fins de mois. Ils sont pessimistes, il y a plus de locataires. On les trouve beaucoup dans la région Centre-Val-de-Loire qui est une région difficile, dans les Hauts-de-France et dans les villes moyennes.

Dernière catégorie, celle que vous appelez "les assignés". Ça veut dire quoi ?

Ils sont bloqués géographiquement et socialement. Ils sont nettement moins heureux que les autres catégories. C’est la France où on trouve le plus de "gilets jaunes". C’est la France aussi où on trouve beaucoup de sans préférence partisane. C’est la France où le rapport à l’impôt est le plus dégradé, on trouve majoritairement inutile de payer ses impôts. C’est la France où l’on se sent coincé là où on vit. Mais même dans cette souffrance sociale forte, trois quarts des Français restent attachés à la France : il y a encore une envie, un espoir de faire France ensemble.

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