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Pourquoi les Français ont un problème avec l’argent

Alors que les ministres doivent rendre public leur patrimoine, francetv info revient sur le grand malaise qui saisit les Français quand il s’agit de parler d’argent.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Héritage catholique, révolutionnaire ou paysan, dans l'imaginaire collectif des Français, la richesse a souvent un arrière-goût suspect. (OPPENHEIM BERNHARD / LIFESIZE / GETTY IMAGES )

"Mieux vaut un communiste en Rolls qu’un fasciste en tank", lançait Yves Montand au début des années 1980, alors que l’important patrimoine de l'acteur, ancien militant communiste, défrayait la chronique. François Hollande l'a exigé, mercredi 10 avril : les ministres doivent publier leur patrimoine d’ici lundi, dans le cadre de la moralisation de la vie politique. S’ils minimisent leur situation, ils alimenteront les soupçons ; s’ils étalent leur richesse, ils seront dénigrés. Pourquoi parler d’argent est-il si tabou chez les Français ?

Parce qu'ils sont issus d'une culture paysanne

C’est la tradition du bas de laine que l’on garde jalousement, sans jamais, au grand jamais, révéler son contenu au voisin. "A deux ou trois générations près, on vient quasiment tous du monde paysan", explique à francetv info Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof et auteure de Pour qui nous prend-on ? Les ‘sottises’ de nos politiques (Ed. de l'Aube), ainsi que d’une grande enquête sociologique de deux ans sur les Français et l’argent. "Et la culture paysanne, c’est l’argent liquide gardé à la maison, et le silence complet sur la question, de peur de se le faire voler ou de susciter la jalousie", décrypte la sociologue.

"Les Français sont restés longtemps attachés à la terre et ont eu beaucoup de mal à se faire à la bancarisation de l’économie", confirme Yannick Marrec, codirecteur de l’ouvrage Les Français et l’argent (Presses universitaires de Rennes), joint par francetv info. Au moment du passage à l’euro, 150 milliards de francs (près de 23 milliards d'euros) dormaient encore en petites coupures sous les matelas des Français, rappelle Le Parisien

Parce que l'héritage du catholicisme reste prégnant

C’est l’anti-bling-bling, l’idée que tout ce qui est ostensible est malvenu. "La culture judéo-chrétienne est encore très présente chez les Français que j’ai rencontrés", raconte Janine Mossuz-Lavau. L'influence du catholicisme, qui a longtemps considéré que l'argent était "vil", a imprégné l'imaginaire collectif, d'où une certaine suspicion à l'égard de ceux qui font fortune, estime la chercheuse. "Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au royaume de Dieu", assène d'ailleurs l'évangile selon Marc. Face à des gens aisés, beaucoup de Français se demandent immédiatement : "Comment ont-ils fait pour être riches ?" souligne la sociologue.

Parce que la Révolution et la Sécu sont passées par là

Le self-made man, parti de rien et qui a arraché sa fortune avec les dents, c’est bon pour l’autre rive de l’Atlantique. "C’est le bagage idéologique de la Révolution, analyse Yannick Marrec. Avant 1789, le clergé et la noblesse ne payaient pas l’impôt tandis que le tiers état croulait sous les taxes. Puis la Révolution a développé le sentiment d’égalité dont les Français ne veulent plus se défaire", souligne-t-il.  

"La figure du citoyen suppose l’égalité matérielle, explique le sociologue Philippe Chanial à Philosophie magazine. Pour Rousseau, une communauté politique ne peut pas exister avec des inégalités de richesse trop fortes. (…) Quand les gens sont trop pauvres, ils risquent d’être asservis, or, justement, l’égalité suppose d’abord la non-domination, le refus de toute forme de servitude."

Depuis, l’Etat-providence, avec la création de la Sécurité sociale, a renforcé ce sentiment. "Aux Etats-Unis, il y a une certaine pression, obligation à avoir de l’argent puisque tout est payant et cher, de l’école à la santé", pointe Janine Mossuz-Lavau. Pas en France, où l'on esquive autant que possible le sujet.

Parce que des résidus de marxisme embarrassent le PS

C’est l’idée que le profit, c’est mal, majoritairement partagée chez les sympathisants de gauche. "Les socialistes sont dans une relation de fascination-détestation assez étonnante, ils ont un rapport compliqué, ambigu à l’argent", explique à francetv info Guillaume Evin, journaliste indépendant, auteur de Je n’aime pas les riches. Enquête sur Hollande, la gauche et l’argent"Il y a chez les socialistes un surmoi marxiste mal digéré selon lequel l’argent est toujours un peu le produit de l’exploitation de l’homme par l’homme", confirme Philippe Martinat, journaliste au Parisien et coauteur de l’ouvrage.

Et de rappeler que les socialistes peinent d’autant plus à trouver leurs marques qu’ils recourent régulièrement à ce discours, de François Mitterrand dénonçant "l’argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes" en 1974 à Epinay, à François Hollande et son "ennemi", "le monde de la finance", en 2012 lors du meeting du Bourget.

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