: Vidéo "Envoyé spécial" au cœur d'un procès d'assises : "extirper des jurés citoyens de leur vie quotidienne et en faire des juges", la "gageure" du jury populaire

Ce jour-là, au palais de justice de Grenoble, s'ouvre le procès d'un "crime de sang sur une femme commis par son conjoint" – un féminicide. Condamné pour meurtre à 24 ans de réclusion criminelle lors d'un premier procès, l'homme qui va occuper le banc des accusés a fait appel de cette décision. "Envoyé spécial" a exceptionnellement été autorisé à filmer ce procès en appel en intégralité. Voici un extrait de ce reportage, diffusé le 25 mai 2023.

En première instance, la cour n'avait pas retenu la préméditation. Pour ce nouveau procès, nouvelle cour d'assises, nouveau jury, mais toujours la même question : l'accusé avait-il prémédité son geste – ce qui requalifierait le meurtre en assassinat, passible de la réclusion criminelle à perpétuité ? 

Neuf jurés pour un procès en appel

Entourée de ses deux assesseurs, la présidente de la cour d'assises, Valérie Blain, déclare l'audience ouverte. Elle commence par procéder au tirage au sort des neuf jurés requis pour un procès en appel, sur une liste de 35 jurés titulaires convoqués à l'audience. Ils auront la tâche de statuer sur la peine qui sera prononcée – à égalité avec les trois magistrats professionnels, qu'ils rejoindront sur les sièges disposés à leurs côtés. 

"La cour d'assises, c'est un héritage de la Révolution française, donc ça remonte à 1789 et à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, puisqu'il est dit que la justice doit être rendue par le peuple pour le peuple."

Valérie Blain, présidente de cour d'assises à la cour d'appel de Grenoble

dans "Envoyé spécial"

L'accusé et ses avocats, leur rappelle la présidente, ont la possibilité de récuser cinq de ces neuf jurés. Le ministère public, c'est-à-dire le procureur général qui va requérir la peine, peut quant à lui en récuser quatre. Ils n'ont pas à en donner le motif, "c'est très subjectif", explique-t-elle à "Envoyé spécial".

"Juré titulaire numéro 31..." "Récusé"

Les seules informations dont ils disposent au sujet de ces jurés sont leur âge, leur profession, leur sexe… et leur propre intuition, car ils ne les voient que brièvement lorsqu'ils se lèvent pour répondre à l'appel de la cour. Aussi un juré peut-il être récusé sur une simple impression, comme le précise l'avocat de la défense, Me Florent Girault. "Vous êtes sur le banc de la défense, il passe, et puis il vous regarde d'une certaine façon, vous dites 'Non, ça ne va pas être possible. Apparemment, il y a une hostilité.' Ce sont des petites choses…"

Dans certains cas, la récusation semble s'imposer comme une évidence : "Si vous avez un banquier à la retraite et que vous avez un dossier de braquage, vous allez le récuser." Lorsqu'il s'agit d'un féminicide, comme ce jour-là, la défense tente de limiter le nombre de femmes sur les bancs des jurés. La jurée suivante qui s'avance vers la cour se voit ainsi récusée, et retournera s'asseoir dans la salle. Mais peut-on être sûr qu'elle aurait été défavorable à l'accusé ? Comment savoir si l'on n'a pas éliminé les "bons" jurés et gardé les "mauvais" ? "La cour d'assises, c'est l'imprévu total, reconnaît Me Girault. On ne sait jamais véritablement comment ça va se passer, ni comment ça va se terminer."

Impartialité et confidentialité

Une fois la cour au complet (trois juges professionnels et neuf jurés citoyens), l'audience est suspendue. Sous la conduite de la présidente, les jurés vont faire connaissance avec la salle des délibérés. Elle accueillera leurs débats durant les quatre journées d'audience.

A ces citoyens tirés au sort sur les listes électorales, Valérie Blain fournit des recommandations sur la conduite à tenir durant le procès – dans l'enceinte du tribunal, mais aussi à l'extérieur. Un juré doit "aussi bien dans le fond que dans la forme, être impartial". A l'audience, ils ne devront "ni montrer [leurs] émotions, ni d'une façon ou d'une autre laisser penser [qu'ils ont] des a priori". Car "il faut être ouvert lorsqu'on est juge, il faut être attentif, écouter pour comprendre…". A l'extérieur, il leur est demandé de ne pas s'adresser aux parties civiles ou aux avocats qu'ils pourraient croiser, d'"éviter de parler de l'affaire entre [eux] à déjeuner, parce qu'il y a souvent beaucoup de monde autour…"

"Souvent, note Valérie Blain au micro d'"Envoyé spécial", ils se demandent s'ils vont être capables de juger, ils ont peur d'être dans l'émotion. C'est une gageure", reconnaît-elle, que de les "extirper de leur vie quotidienne, de leur métier, et d'en faire des juges." A l'heure du délibéré, leur voix comptera autant que celle des magistrats professionnels qui les accompagnent. A ces derniers, donc, de veiller à la "mise à distance nécessaire pour bien rendre la justice".

Extrait de "Au cœur d'un procès d'assises", un reportage à voir dans "Envoyé spécial" le 25 mai 2023.

> Les replays des magazines d'info de France Télévisions sont disponibles sur le site de franceinfo et son application mobile (iOS & Android), rubrique "Magazines".