Éric Lecocq : "Dans les contrôles fiscaux, il y a une obligation de résultat"
Inspecteur des impôts pendant onze ans, désormais avocat fiscaliste et spécialiste du contentieux fiscal, Éric Lecocq est l'auteur du livre "Fisc, ses secrets révélés". Interrogé par François Lenglet pour "L'Angle éco" diffusé le 20 avril sur France 2, il revient sur son expérience au sein de l'administration fiscale et sur le durcissement actuel des contrôles.
Les contrôles fiscaux sont plus coercitifs. En 2013, ils ont permis de détecter 18 milliards d'euros de fraude et de faire entrer 10 milliards dans les caisses de l'État, soit 1 milliard de plus qu'en 2012. Quelles sont les réactions des sociétés contrôlées et des contribuables à l'arrivée de l'inspecteur ? Quels sont les "clignotants" qui peuvent vous rendre suspect à ses yeux ? Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les contrôles fiscaux, dévoilé par un ancien agent du fisc, Éric Lecocq.
François Lenglet : Comment les inspecteurs des impôts travaillent-ils en France ?
Éric Lecocq : Il y a d'abord tout un travail de prĂ©paration des dossiers des contribuables, ce qu'on appelle un contrĂ´le sur pièces. Vous avez Ă©galement, Ă Bercy, des services qui contrĂ´lent très bien ce que font les gens, s'ils ont un train de vie important, par exemple. L'administration appelle cela des "clignotants" : cela peut ĂŞtre l'achat de vĂ©hicules de luxe, le fait de partir aux Seychelles ou d'aller au restaurant très souvent, d'apparaĂ®tre dans des magazines comme Gala... Vous achetez une maison, une voiture, l'administration fiscale le sait. Vous achetez un tĂ©lĂ©viseur, l'administration ne le sait pas, mais elle peut le vĂ©rifier.Â
Quand vous avez beaucoup de "clignotants", l'administration se déplace pour étudier précisément votre situation. On vous envoie tout d'abord un avis de contrôle de revenus, la Vérification approfondie de la situation fiscale d'ensemble (VASFE). On vous demande ensuite vos relevés de comptes bancaires des trois dernières années, puis l'on examine tous les crédits que vous pouvez avoir. Rien n'échappe à l'administration fiscale. Aujourd'hui, une personne qui commence à frauder sur l'impôt sur le revenu devra être très performante pour ne pas se faire prendre !
Qu'est-ce qui motive les inspecteurs des impôts ? Ils font un travail utile pour les finances de l'État, mais il y a tout de même une dimension personnelle...
Vous savez, un inspecteur des impôts est payé par un employeur, l'État. En principe, lors d'un contrôle fiscal, un inspecteur vous dira qu'il est là pour appliquer les règles, pour appliquer la loi, et que ce n'est pas lui qui prend les décisions. Vous avez cependant plusieurs types de personne. Vous avez des "Saint-Just" qui pensent que tout le monde fraude et sont obsédés par cela, mais vous avez aussi des inspecteurs très équitables, qui font leur métier, pas plus.
Peut-il y avoir, à un moment, une sorte de camaraderie, d'amitié qui se noue entre l'inspecteur des impôts et le contrôlé ?
Cela peut arriver. Un contrôle fiscal, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un particulier, prend un certain temps. Pour une grande société, par exemple, vous pouvez intervenir entre 10 à 15 fois en seulement deux semaines. C'est la même chose pour un contribuable dont on vérifie l'impôt sur le revenu. Évidemment qu'une relation peut se nouer.
Les rivaux des contribuables concernés vous donnent-ils également parfois des "tuyaux" ?
Vous pouvez en effet avoir ce que l'on appelle communément des dénonciations. Ces personnes, l'administration fiscale les appelle les "aviseurs". Ils expliquent qu'une personne a un train de vie anormal, par exemple. Je ne dis pas que c'est fréquent, mais cela arrive. En tout cas, l'administration vérifie uniquement les dénonciations signées : les lettres anonymes ne passent pas. Ces "aviseurs" donnent leur nom et aident ensuite l'administration à localiser les différents problèmes de fraude fiscale. À l'époque où j'étais en poste, on proposait même à ces personnes une rémunération, fixée en fonction des droits rappelés grâce à leur aide.
Pourquoi avez-vous décidé de quitter l'administration fiscale après dix ans ?
La première chose, c'est qu'il s'agit d'un "métier rengaine". Vous faites toujours la même chose : vous arrivez, vous dites bonjour au dirigeant de la société contrôlée ou au contribuable, puis vous demandez toujours les mêmes choses. Un deuxième point m'a bloqué assez vite : le fait de vérifier une société en difficulté. Celle-ci a pu frauder en matière de TVA, non pas dans le but de frauder l'administration fiscale, mais pour sauver des emplois. Elle aurait déposé le bilan si elle avait dû payer la TVA. Quand vous êtes vérificateur, cela vous fait quelque chose de vous dire que votre proposition de rectification va entraîner un avis de mise en recouvrement, lequel provoquera sûrement ensuite la mise en liquidation de la boîte. Se dire que vous mettez 200 personnes dehors... c'est affreux, et c'est l'une des raisons principales pour lesquelles j'ai arrêté ce métier.
Dans quel état se trouvent les personnes sur le point d'être contrôlées ?
Lors de la première intervention, vous voyez souvent des dirigeants de grandes entreprises bien remettre leur cravate et leur chemise en place avant d'entrer... pour avoir l'air vraiment très sérieux. Je me souviens d'un contrôle en particulier, lors duquel je devais vérifier une société qui vendait des véhicules. Le président n'était pas encore là quand je suis arrivé. Nous le voyons arriver paniqué un peu plus tard, il avait eu un petit accident : il venait d'emboutir ma voiture sur le parking ! Il était tellement affolé qu'il m'a même proposé de choisir le véhicule que je souhaitais dans leur parc... Ce que je ne pouvais pas faire, bien sûr, même si cela aurait été avec plaisir !
Repériez-vous facilement les contrôlés de mauvaise foi ? Se signalent-ils par leur façon de parler, ou un comportement qui vous semble suspect ?
Quand vous êtes inspecteur des impôts, votre rôle est de connaître la vie de la personne contrôlée assez vite. Car le contribuable peut se vanter d'un certain nombre de choses qui vous serviront dans votre contrôle. S'il commence à se prévaloir d'un certain train de vie, par exemple, vous pouvez lui demander comment il fait avec son niveau de salaire... C'est quelque chose que les étudiants de l'École nationale des impôts apprennent. Ils organisent des jeux de rôle et se mettent dans la peau d'un contribuable vérifié, d'un avocat et d'un inspecteur des impôts...
Y a-t-il un commandement, une règle pour réussir un contrôle fiscal ?
Oui, savoir "vendre" ses redressements. Le but est que le contribuable que vous contrôlez soit tout à fait d'accord avec le redressement que vous lui infligez. C'est un métier ! Car sans cela, le redressement génère un contentieux, et donc le passage devant un tribunal administratif, puis la cour d'appel administrative...
L'administration fiscale vous semble-t-elle plus dure aujourd'hui qu'il y a vingt ans ?
Aujourd'hui, l'administration est effectivement plus coercitive qu'avant. Il y a des obligations de résultat. On ne vous demande pas, bien sûr, de faire chaque année un certain montant de droits rappelés. Mais vous avez, à tout niveau de l'administration, des statistiques de contrôle fiscal qui paraissent en permanence. Elles indiquent clairement si vous êtes, en tant qu'inspecteur des impôts, en dessous de la moyenne de la brigade, ou si votre brigade est en dessous de la moyenne de la direction. Il y a clairement des objectifs.
Qu'en est-il de l'économie au noir aujourd'hui ?
J'ai tendance à penser que cela se développe actuellement, avec la pression fiscale qui existe en France. Les personnes qui sont à 47% d'impôt sur le revenu, par exemple, je suis sûr qu'elles se posent la question dès qu'elles gagnent 100 euros. Elles risquent gros, car les tribunaux répressifs, qui étaient coulants il y a vingt ans, sont de plus en plus durs avec la fraude fiscale. C'est désormais considéré comme une infraction pénale – et les magistrats n'hésitent pas à prononcer des condamnations.
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Éric Lecocq est l'auteur de "Fisc, ses secrets révélés, un ex-contrôleur des impôts témoigne", éd. Flammarion, 2014.
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