C'est dans ma tête. #MeTooInceste : un premier pas vers la reconstruction ?
Le mot clé #MeTooInceste sur les réseaux sociaux libère la parole dans les affaires d'inceste depuis plusieurs jours. Il permet à des femmes et à des hommes de révéler les agressions subies dans leur enfance, au sein de leur famille. La psychanalyste Claude Halmos nous dit ce que cette libération de la parole signifie pour les victimes.
Il y a quelques années, le hashtag #MeToo a permis de mettre fin au silence qui entourait les agressions sexuelles subies par les femmes. Aujourd’hui, la mise en place d’un #MeTooInceste va permettre à des hommes et des femmes de révéler les agressions subies, dans leur enfance, au sein de leurs familles. Et nous revenons avec la psychanalyste Claude Halmos sur ce que signifie pour les victimes la libération de cette parole.
franceinfo : Qu'est-ce que cela représente, pour les victimes, et la façon dont cela peut les aider à se reconstruire ?
Claude Halmos : L’existence de #MeTooInceste est une révolution parce qu’elle oblige notre société à entendre la fréquence des situations où des enfants sont, pour des ascendants qui s’en pensent propriétaires, et dans le plus grand secret, des objets de consommation sexuelle. Et pour les adultes dont on a massacré de cette façon, l’enfance, c’est d’une importance considérable.
Vous pouvez nous expliquer en quoi c’est important ?
L’inceste, ce sont des agressions sexuelles répétées, c’est-à-dire la répétition de traumatismes très violents, et que l’enfant ne subit pas à l’extérieur, et du fait d’étrangers, mais dans le lieu qui est pour lui celui de la confiance : sa famille. Il se retrouve donc non seulement dans un bouleversement total de son corps et de son psychisme mais, parce qu’il perd tous ses repères, dans un monde lui-même totalement bouleversé ; et bien sûr dans une solitude, une impuissance et une honte, qui vont se graver en lui.
#MeTooInceste peut être un moyen de sortir de la solitude et de l’impuissance : beaucoup de victimes témoignent, et on les croit. Et de ce fait, de combattre la honte.
Donc #MeTooInceste peut aider les victimes à se reconstruire ?
L’ampleur et la complexité de la destruction opérée par l’inceste sont énormes. Parce que l’agresseur fait partie des premiers êtres, essentiels, avec lesquels l’enfant s’est construit. Parce que l’inceste mélange les places, brouille les rapports de parenté, et le projette dans un monde sans loi, où les forts écrasent les faibles ; et donc dans un sentiment d’insécurité qui va, lui aussi, marquer sa vie entière. Se reconstruire suppose donc qu’il puisse "réparer" tout cela. #MeTooInceste est un élément important, mais qui ne suffit pas, et qui de plus n’est pas sans danger.
Quels sont ces dangers que vous évoquez ?
On peut se trouver piégé par un désir de vengeance – "Tu m’as détruit, je te détruis" – d’autant plus problématique que le tribunal qui juge est un tribunal médiatique ; et rester de ce fait dans un monde sans loi. Alors que se reconstruire suppose de remettre de la loi dans le monde.
S’exprimer sur les réseaux sociaux, peut donner l’impression d’exposer son corps violenté ; ce qui peut être vécu comme une dépossession. Or, se reconstruire suppose de se réapproprier son corps, dont on a été dépossédé par l’inceste. Et puis surtout #MeTooInceste permet de désigner un coupable : celui qui a accompli l’acte. Et cela peut conduire à oublier – et même à dédouaner – tous ceux qui, en n’intervenant pas, lui ont permis d’agir. Qui sont de fait ses complices, et dont on a été aussi la victime, parce que l’inceste procède toujours d’un tissu relationnel.
Donc #MeTooInceste peut être un outil de libération mais il faut, pour se protéger, l’utiliser avec prudence.
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