Visages de l'abstention
À une semaine du premier tour de l'élection présidentielle, on évoque aujourd'hui la question de l'abstention. Plusieurs études montrent qu'elle pourrait atteindre un niveau record pour une élection présidentielle.
Nous sommes à une semaine du premier tour de l’élection présidentielle, et nous aimerions revenir avec la psychanalyste Claude Halmos sur le problème de l’abstention, qui ne cesse d’inquiéter.
franceinfo : Pensez-vous que l’on puisse définir un profil psychologique des abstentionnistes ?
Il existe plusieurs formes d’abstention, et elles correspondent à des problématiques très différentes. Il existe une abstention qui renvoie à un désinvestissement du collectif, lié à un individualisme qui s’est accru ces dernières années. Il en existe une autre, que l’on pourrait dire "active", et qui est celle de gens concernés par la politique, mais dont l’opinion est marquée par un refus. Soit de tous les candidats en lice, soit du principe même de l’élection, à laquelle ils préfèrent d’autres moyens d’action : les manifestations par exemple.
Donc ils ne votent pas, mais restent en prise avec la vie politique, et ont conscience d’y avoir un rôle. Et puis il y a une troisième forme d’abstention, que l’on pourrait dire "de renoncement", qui est celle de gens qui ne se sentent pas (ou plus) concernés par la participation à la vie politique du pays.
Comment peut-on l’expliquer ?
Les sociologues prennent en compte pour l’expliquer, l’âge, le niveau de vie, et celui des études. Mais on peut dire aussi que l’acte de voter fait se confronter l’image que l’électeur a de lui-même (en tant que citoyen) et celle qu’il a de l’instance pour laquelle il doit voter (maire, député, président). Et que, plus il se sent, socialement, dévalorisé et impuissant, plus cette instance lui semble sans doute, toute puissante.
S’abstenir peut donc être pour lui une façon de dire : "je ne suis rien, je ne compte pas ; je ne peux donc pas imaginer que mon vote compte". Et en même temps : "les gouvernants, quels qu’ils soient, étant trop loin de nous, pour se préoccuper de nous, voter ne sert à rien".
Cette position, qui a toujours existé, est aggravée aujourd’hui par le recul de l’engagement politique qui donnait la conscience d’un combat à mener, et donc un sens au vote. Elle entraîne une abstention (notamment dans les milieux défavorisés) dangereuse pour la démocratie, mais aussi pour les individus, parce qu’elle accroît encore leur sentiment de dévalorisation et d’exclusion.
Comment remédier à ces différentes formes d’abstention ?
L’abstention "active" pourrait peut-être, être réduite par la prise en compte du vote blanc, que beaucoup réclament. L’abstention "de renoncement" supposerait, elle, que soient prises en compte, de façon crédible, les souffrances qu’elle exprime. Pour que des milliers de gens n’aient plus l’impression qu’on leur dit, non pas : "sois belle et tais-toi" mais "viens voter, et tais- toi", c’est-à-dire : "vote, rentre chez toi, et supporte ta vie invivable".
Et, s’agissant de l’abstention "individualiste", Il faudrait, dès l’école, former des citoyens. Apprendre aux enfants ce que sont "le bien commun", et la démocratie, et leur apprendre aussi l’histoire du droit de vote, en France, et dans le monde, pour qu’ils comprennent le sens et la nécessité du vote.
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