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"Patrons de gauche", ils n'étaient pas d'accord en 2007

Olivier et Ludovic ouvraient leur quatrième lieu de restauration rapide haut de gamme cette semaine, à Paris. Avec plus de vingt salariés, ils se retrouvent dans une gestion "de gauche" de leur société créée il y a neuf ans. Pourtant, les deux amis de vingt ans ne se réclament pas de la même famille politique.
Article rédigé par franceinfo
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Olivier a grandi en Normandie chez des parents enseignants, Ludovic, dans une banlieue confortable à l'ouest de Paris, auprès de parents cadres dirigeants dans le privé. Tous les deux se sont rencontrés en école de commerce, il y a plus de vingt ans. C'était le début des années 90, le monde de l'entreprise avait le vent en poupe. Eux voulaient voyager, et s'étaient lancé pour défi de créer en jour une boîte ensemble.
 
Ce jour-là a attendu un peu : tandis qu'Olivier devenait cadre supérieur dans l'industrie, Ludovic est parti à New-York. Il y tenait tant qu'il dit qu'il aurait pu devenir chauffeur de taxi rien que pour vivre au rythme de "cette énergie-là" . Finalement, il y sera trader dix ans.

Olivier et lui gardent contact, et décident de démissionner en même temps. Des projets de voyage qui se concrétisent pour Ludovic, qui passe deux ans en Inde, "le pays qui a changé ma vie " ; les prémices d'une vie de famille pour Olivier. Et puis, il y a neuf ans, ils trouvent enfin l'emplacement qu'ils cherchaient pour lancer une affaire de restauration rapide haut de gamme, inspirée de chaînes fournissant smoothies, jus de fruits et soupes, comme le Britannique Pret-à-manger

Quatre magasins en neuf ans de PME

Olivier se dit clairement attaché à la gauche, même s'il n'aime plus tant parler politique que dans le passé où il pouvait débattre jusqu'à plus soif. Sa gauche à lui est aujourd'hui plus identitaire que combative, quand on l'écoute détailler avec distance et un brin de scepticisme:"Je préfère la vision de gauche mais pour des raisons qui sont plus du domaine du lien à la culture, du lien au programme télé... "

Depuis, trois autres restaurants ont ouvert, dont l'essentiel de l'activité consiste dans la livraison ou la vente à emporter. Le quatrième vient d'ouvrir, cette semaine, à Paris, du côté de Madeleine. Olivier et Ludovic comptent désormais une vingtaine de salariés équivalents temps plein, dont beaucoup de temps partiels pour des étudiants. Le temps où ils tenaient eux-mêmes la boutique, soirs et matins, est loin - "Une expérience très dure, moralement épuisante ", se souvient Olivier.
 
Aujourd'hui, ils disent à l'unison qu'ils gèrent leur société en patrons de gauche. Plus "par incapacité à se déguiser " pour Olivier, et "souci du social malgré la réalité économique ", du côté de Ludovic. Pourtant, les deux associés, qui confient que le management n'est pas leur horizon favori voire, pour Ludovic, l'ex-trader épris d'Inde et de spiritualité, que "le travail n'est pas un épanouissement" , ne se réclament pas de la même famille politique. 

Frédéric Sawicki, Professeur de science politique à Paris I Panthéon-Sorbonne, a publié de nombreux travaux sur la gauche en France. Il a retrouvé chez Olivier un des deux vecteurs d'identité chez les électeurs de gauche :

"Il y a d'abord un registre social autour de l'idée d'égalité [...] puis un autre modèle, pas forcément contradictoire, qui est plus centré sur l'idée de liberté, d'émancipation, d'épanouissement et de respect. Bien sûr, les deux se sont toujours conjugués dans l'histoire de la gauche mais chez les électeurs, on peut voir que certains aspects prédominent sur d'autres, et ça peut être lié à leur origine sociale ou à leur position sociale."
 

Entrepreneur et électeur

Entrepreneur et donc "de gauche ", Olivier, qui assure qu'il ne lui viendrait pas à l'idée de se présenter comme chef d'entreprise à la première poignée de main, raconte qu'il a fini par éprouver une certaine tendresse pour le terme "patron " qu'il raillait autrefois. Florence Haegel, invitée de Carte d'électeur en octobre 2012, affirmait que c'est précisément le rapport à l'entreprenariat qui distinguait le plus "un jeune de droite d'un jeune de gauche ". A l'écoute d'Olivier et Ludovic qui partagent de nombreuses valeurs mais inclinent à l'opposé, Frédéric Sawicki nuance :

"Les individus ne sont jamais déterminés totalement que par leurs conditions de travail ou leur position matérielle, bien évidemment. Il y a toujours eu des ouvriers qui votaient à droite, et aussi, toujours, des patrons, surtout des petits patrons mais aussi quelques gros patrons, qui votent à gauche."  

Ludovic, lui, ne vote pas. Une seule exception à vingt-trois années d'abstention : le second tour de 2002, et un bulletin Chirac qui s'imposait parce que "ça réveillait des convictions fortes ". Précisément le type de convictions qui lui font défaut, au fil des campagnes électorales que pourtant il suit avec assiduité. Spontanément, Ludovic s'estime "de droite économiquement, de gauche socialement ".

Lui qui aurait pu voter Sarkozy en 2007 mais excècre le népotisme qui fit imaginer au Président sortant qu'il pouvait installer son fils, Jean, à la tête de l'EPAD impunément, précise : "La réalité me semble davantage de droite " mais ajoute aussitôt que cependant le modèle libéral à l'américaine lui semble "aller dans le mur ".

Delors, toujours un mythe

Tiraillé, empêché de s'enthousiasmer faute de personnalités intègres "à la Delors ", il s'abstient, donc. Et prépare une installation future en Inde. Frédéric Sawicki a retrouvé dans son témoignage une expérience commune à bien des électeurs tiraillés entre droite et gauche, convictions humanistes et aspiration à l'émancipation ailleurs, au singulier. 

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