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Syndicalistes dans un péage, mais "pas politisés"

Reportage auprès de militants syndicaux de Cofiroute. Le fait d'être syndiqué n'en fait pas des citoyens plus politisés que les autres, au contraire même, parfois.
Article rédigé par Olivier Emond
Radio France
Publié Mis à jour
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Avec environ 7,5% de salariés syndiqués en France, les
représentants syndicaux tranchent dans le paysage des entreprises. Vous les imaginez politisés, vertébrés par une ossature militante ? Une rencontre dans le local syndical au péage d'Orléans-Nord indique plutôt lecontraire.

C'est Cofiroute, filiale de Vinci, qui est concessionnaire de cette portion d'autoroute. L'entreprise affiche un taux de syndicalisation assez faible – la CGT compte une centaine de cartes pour 1.800 salariés en France, d'autres centrales n'avancent aucun chiffre – et les quatre élus syndicaux que j'ai interviewés expliquent tous qu'ils ont avant tout choisi leur syndicat "par affinités personnelles" , et "pas par étiquette idéologique" .

"Plus épanouis" dans le syndicalisme, mais pas plus politisés

Souvent, leur première carte syndicale a attendu douze ou quinze ans dans une entreprise où l'on vient pour "la pérennité de l'emploi", et où l'on tend à rester : 25 000 euros nets annuels pour un receveur de 45 ans au bout de 25 ans de maison, et "un métier plutôt plaisant" – de moins en moins en cabine, de plus en plus à l'entretien du parc de bornes automatiques.

Qu'ils soient CGT, CTFC ou FO(aujourd'hui affiliés CFTC depuis la fusion, localement l'an dernier, entre Sud, FO et la CFTC) tous quatre disent avoir trouvé "un épanouissement personnel" dans l'engagement syndical.

Thierry, ex-élu FO, explique par exemple que "l'accès aux bilans financiers de l'entreprise et l'interaction avec la DRH [lui] a ouvert un monde qui serait resté fermé s'il était encore dans sa cabine de péage".

Pour autant, on s'identifie mezzo vocce à l'héritage du combat syndical. Laurence, élue CFTC et syndiquée depuis six ans, croit ainsi qu'on a fait appel à elle d'abord "parce qu' [elle sait] garder [son] calme" . Elle hésite à se dire "syndicaliste" :

"En général, je dis plutôt que je suis déléguée du personnel, pas forcément " syndiquée " : ce n'est pas quelque chose que je crie sur tous les toits. Dans mon esprit, le mot " syndicat " se rapporte beaucoup à la politique.

Laurence : "Les étiquettes politiques m'indiffèrent"

Qu'ils aient une fibre syndicale plus ou moins affirmée, tous revendiquent une distance prudente avec la politique. Pour brasser au plus large et appâter le chaland sans l'effrayer. Mais aussi, tout simplement, parce que la politique ne les passionne pas.

Egalement élue municipale dans une petite commune proche d'Orléans, Laurence se dit "sans étiquette" et compte bien le rester. Son passage de droite à gauche ("On mûrit avec les aléas de la vie") peut se résumer dans les valeurs qu'elle égrène comme critères de vote pour 2012 :

"La liberté est prioritaire... le social a de très bons côtés, mais on parle bien du social, et pas de l'assistanat. Globalement, on manque de justice. Pour moi, la politique, c'est pas par rapport aux étiquettes, mais ce qui fait avancer. Le reste : gauche, droite, extrême-gauche, extrême-droite, ce n'est pas ça que je regarde."

Thierry, marqué par le référendum de 2005 

Thierry dit pour sa part qu'il a "voté au départ" , puis beaucoup moins souvent. Parce qu'il a eu le sentiment que son vote "ne comptait pas vraiment" . Le point d'orgue de sa frustration se fixe en 2005, avec le référendum pour le traité constitutionnel européen.

Six ans plus tard, il vit encore ce rendez-vous électoral comme une spoliation assez infantilisante :

"C'est comme si on nous avait dit : restez chez vous, vous n'êtes pas capables de voter."

À la CTFC ou chez FO, on agite facilement le chiffon rouge de la CGT pour expliquer qu'on "prend ses distances avec des gens qui ont une attache forte à la politique".

Par exemple, Dominique, 45 ans et élu CFTC depuis cinq ans. Fleuriste à son compte durant huit ans, entre autres métiers enchaînés après son BEP de mécanicien avant de rejoindre Cofiroute à l'âge de 36 ans, Dominique déplore le "simplisme" d'une assignation politique qui enferme un peu vite les ouvriers "dans des cases".

Représentants syndicaux compris, précise l'agent routier :

"Si on fait du syndicalisme, ça voudrait dire qu'on est d'office dans une case où on a la fibre sociale, et ça voudrait dire qu'on est rattaché forcément à un parti politique de gauche ? C'est, à mon avis, faux. Aujourd'hui, les ouvriers ne sont pas de gauche et les patrons de droite. Il n'y a plus ces deux cases comme dans les années 70. Comment le Front national fait-il 22% sans passer par le vote des ouvriers ? Or qui a la fibre sociale si ce n'est pas les ouvriers ?"

"Je n'ai jamais voté communiste, la CGT n'est pas le PCF"

Chez Cofiroute à Orléans, un cégétiste flanqué d'un mandat a récemment annoncé sa préférence pour le FN. Quelques semaines plus tôt, au printemps 2011, deux élus CGT et FO avaient été débarqués coup sur coup après s'être présentés sur des listes frontistes dans le Nord et en Moselle aux cantonales.

À Orléans, l'intéressé n'a pas attendu la polémique : il a rendu sa carte syndicale et gardé son vote frontiste.

Olivier, 45 ans, dont neuf de mandat syndical sous la bannière CGT, dit qu'il garde "des liens personnelsé" avec son collègue mais que sa préférence politique était "peu compatible avec les valeurs du syndicat" .

Olivier, lui, votait plutôt Lutte ouvrière jusqu'à présent. Il le dit facilement, et aimerait en profiter pour tordre le cou aux "amalgames" qui ont la vie dure :

"Je n'ai jamais voté communiste de ma vie. La CGT n'est pas le PCF."

Issu d'une famille de cheminots "très politisée et investie syndicalement" , l'ancien receveur est devenu agent routier comme un bon quart des effectifs à la faveur de l'automatisation. Il concède que la CGT est sans doute un syndicat "plus politisé" .

"Des élus CFTC votent à droite, ça ne me choque pas"

Même s'il revendique "faire la différence" entre combat syndical et identité politique, il se distingue des autres élus en expliquant que son activité syndicale l'a "fait mûrir politiquement" :

"Je pense qu'on se rend mieux compte de la façon dont fonctionnent les entreprises et de savoir comment ça fonctionne économiquement fait mûrir politiquement. Des syndiqués, des élus du personnel qui ne votent pas, ça me choque. On a beau dire, et même si l'activité syndicale n'est pas une activité politique, on est impliqué dans la vie de l'entreprise, on doit donc être impliqué également politiquement. Je sais qu'à Orléans, des élus CFTC votent à droite, ça ne me choque pas du moment qu'on vote, qu'on s'intéresse à la politique."

Sous la bannière CFTC, Dominique raconte, lui, qu'il n'est pas hostile au vote contestataire "à l'occasion" . Qu'il attend avant tout "un personnel politique nouveau, qui n'aurait jamais été en position de gouverner et à qui on ne pourrait rien reprocher" :

"J'ai déjà voté, ou pas... et j'ai déjà voté blanc parce que j'estime que les gens qui sont là ne me font aucune proposition alternative. Bonnet blanc et blanc bonnet. Plus on nous parle de différences politiques, et moindre est l'écart. Plus ça va, plus la droite fait une politique de gauche et la gauche, une politique de droite... mais plus ça va, et plus ils nous parlent de leur héritage politique."

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