Crimes à bronzer : "Tokyo" de Mo Hayder
Un livre comme un précipité chimique : deux corps étrangers pour un mélange détonnant. Une double vue qui électrise Tokyo de Mo Hayder, un roman pour deux récits qui vont précipiter ses héros dans l’horreur de l’histoire, petite ou grande. Deux époques liées douloureusement par l’un des narrateurs : un professeur chinois, Chongming, mystérieusement émigré au Japon.
Côté pile, le récit initiatique et contemporain de Grey, jeune étudiante porteuse d'un terrible secret lié au viol qu'elle a subi adolescente. Grey qui a une obsession : le massacre de Nankin et la volonté de retrouver un film réalisé aux pires moments de cet effroyable épisode.
Côté face, Nankin justement en décembre 1937. Ce massacre de Nankin est raconté par le mystérieux Chongming, un épisode de la guerre sino-japonaise qui dura six semaines pour 300.000 victimes, essentiellement civiles. Car quand l'armée japonaise investit Nankin, comme prise de folie, elle exécuta les hommes au sabre ou à la baïonnette. Les femmes, elles, étaient systématiquement violées puis éventrées.
Avec un sens savant et glaçant du montage parallèle, le lecteur navigue entre le Tokyo d’aujourd’hui, presque futuriste, séduisant, menaçant, et l’horreur de Nankin racontée au jour le jour. Une boucherie. Les chapitres s'enchevêtrent et slaloment entre des charniers à l’infini et le bar de luxe où Grey est devenu hôtesse. Dans la clientèle d’affaire, un vieillard en fauteuil roulant entouré de personnages terrifiants. Il détient - c’est la rumeur - un élixir qui le maintien en vie. La vie, si loin de Nankin.
Entre thriller noir et roman historique, Tokyo ne choisit jamais son camp. C’est ce qui en fait un miracle morbide et terrifiant, dénonciation d’une horreur de l’histoire, deuil impossible de la perte d’une vie.
Tokyo de Mo Hayder est disponible aux Presses de la Cité.
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