Dans la peau de l'info. Une centrale nucléaire
Tous les matins, Marie Dupin se glisse dans la peau d'une personnalité, d'un événement, d'un lieu ou d'un fait au cœur de l'actualité.
Ce jeudi 27 octobre, je suis radioactive. Je suis une centrale nucléaire. L'une des 250 centrales en activité dans le monde, avec mes 400 réacteurs, dont 56 en France. J'ai en moyenne 31 ans et j'utilise 20 tonnes d'uranium enrichi chaque année importé de Russie du Kazakhstan du Niger et d'Ouzbékistan. Si j'ai pendant longtemps fait l'objet d'un consensus politique, j'ai un peu refroidi tout le monde avec les accidents de Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011. Depuis, les Allemands, les Autrichiens, les Luxembourgeois et les Italiens m'ont lâchement abandonnée.
Mais en France à part les Bretons qui m'ont toujours résisté, j'ai toujours pu compter sur votre soutien, avec votre parc nucléaire, le deuxième plus important au monde derrière les Etats-Unis. Soutien d'autant plus admirable que n'ai pas été très loyale ces derniers temps. Depuis six mois, j'ai en effet une chance sur deux d'être arrêtée à cause de problèmes de corrosion. Il faut dire que mes tuyaux commencent à se faire vieux et qu'alors que j'atteins l'âge de ma retraite, on veut continuer à me faire travailler. Finalement je suis un peu comme une vieille voiture dont on se demande si on peut encore la réparer ou s'il vaut mieux l'envoyer à la casse, et dans ce cas s'il l'abandonner définitivement ou racheter un nouveau modèle flambant neuf.
Et c'est justement le coeur d'un débat qui aura lieu à l'assemblée aujourd'hui. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron a pris un engagement : la construction de six nouveaux réacteurs EPR 2, de troisième génération, pour nous remplacer, nous, les centrales vieillissantes d'ici 2040. Encore faudrait déjà terminer notre petit dernier, à Flamanville, dont la facture s'est envolée, de 3 à 19 milliards, avec plus 4 500 modifications au compteur. Car entre son lancement en 2007 et la mise en service du dernier de mes réacteurs à Civaux en 1999 on a tout simplement oublié comment me construire. "Perte de compétence généralisée" expliquait récemment un rapport commandé par le gouvernement. Pas de quoi lâcher l'affaire, alors que je suis censée assurer l'indépendance énergétique de la France.
En réalité, les choses sont un peu plus compliquées, car si je produis bien entre 50 et 70% de votre électricité, je ne couvre que 17% de votre consommation finale d'énergie. Et si j'émets beaucoup moins de gaz à effet de serre que le pétrole ou le charbon, le sujet de mes déchets est préoccupant. J'en ai déjà produit plus d'un million et demi de mètres cubes en France dont 3% de déchets ultimes devant être à terme enfouis à 500 mètres sous terre dans 270 kilomètres de galeries, plus que le métro parisien. Des déchets qui resteront radioactifs plus de 100 000 ans. Le pendant moderne des peintures rupestres de la préhistoire, notre héritage aux futures générations.
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