Bruno Le Maire : l’art de répondre à contre-temps
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Invité sur franceinfo lundi 24 janvier, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a longuement évoqué l’augmentation des prix de l’énergie, qui pèse sur l’économie et sur les ménages. Il y a, en réalité, deux sujets différents. Le premier, c’est l’augmentation des prix de l’électricité. Pour y faire face, le gouvernement a décidé de contraindre EDF à revendre de l’électricité à bas prix à ses concurrents. "Quand vous faites de la politique, il faut savoir prendre des décisions, a expliqué Bruno Le Maire. Et ce n'est pas blanc ou noir : il y a des avantages et des inconvénients. J'estime que lorsque les prix sont très hauts, insupportables pour les ménages français comme pour les entreprises, il est juste et légitime qu'EDF fasse un effort pour soutenir les Français."
Une prise de décision tranchée donc, et qui a offert à Bruno Le Maire un angle d’attaque contre une de ses adversaires politiques : la candidate des Républicains à la présidentielle, Valérie Pécresse.
"Très candidement, Valérie Pécresse nous dit : 'Je n'ai pas de solution de court terme.' Quand on est aux affaires, aux responsabilités, il vaut mieux avoir des solutions de court terme !"
Bruno Le Maireà franceinfo
L'attaque est cinglante, peut-être justifiée. Mais on peut aussi s’en étonner, au regard du second sujet qui est actuellement sur la table : l’augmentation des prix du carburant. Vous vous souvenez que le gouvernement y a répondu il y a quelques mois, avec le "chèque inflation" de 100 €. La question qui se pose désormais, c’est de savoir s’il faut prendre une mesure supplémentaire. Par exemple baisser la fiscalité sur l’essence, comme le proposent certains candidats à la présidentielle ? Pour Bruno Le Maire, c'est non : "Baisser la fiscalité sur les carburants, comme le proposent certains, je ne pense pas que ce soit la bonne solution. On ne répond pas à un problème structurel par des mesures de court terme. Le problème structurel, c'est l'augmentation des prix du pétrole, c'est notre dépendance aux énergies fossiles."
Pas de "solution de court terme"
La véritable réponse, c’est donc de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, par exemple en développant la voiture électrique ou les transport collectifs. Pourquoi pas ? Mais vous voyez que soudain, cette question semble surtout se poser à très long terme. Et Bruno Le Maire ne présente pas de pistes précises pour y répondre...
"Je pense qu’on peut envisager des mesures spécifiques sur les personnes qui n’ont d’autre choix que de prendre leur véhicule. Je ne veux pas mettre sur la table des pistes précises, je dis juste que la philosophie serait celle-là."
Bruno Le Maireà franceinfo
Alors, ici, il faut brancher le décrypteur : "Je pense qu’on peut envisager des mesures spécifiques sur les personnes qui n’ont d’autre choix que de prendre leur véhicule", a dit le ministre. Décryptage :
- "Je pense" : utilisation conjointe de la première personne du singulier et d’un verbe de subjectivation : il exprime donc une réflexion en son nom propre, et non pas une décision gouvernementale.
- "Qu’on peut envisager" : utilisation d’un verbe de modalisation, cela signifie que la prise de décision demeure hypothétique.
- "Des mesures spécifiques" : il n’a donc pas dit lesquelles...
Et d’ailleurs, il ajoute juste après : "Je dis juste que la philosophie serait celle-là." Quand on en est à évoquer "la philosophie" d’une mesure à quelques semaines d’une élection présidentielle, il y a peu de chances de la voir aboutir dans l’immédiat…
Le ministre de l'Économie ne propose donc aucune mesure à court terme, et ce alors même qu’il reconnaît l’existence d’un problème, puisque c’est précisément ce qu’il reprochait à Valérie Pécresse sur l’augmentation des prix de l’électricité !
Indépendamment de cette autocontradiction, qui ne manque pas de piquant, cette séquence est riche d’enseignement sur le plan rhétorique. Elle nous montre qu’il existe bien des manières de se sortir d’une question délicate. On peut répondre à côté du sujet bien sûr. Mais on peut également répondre à contre-temps du problème. La manœuvre est plus subtile. Mais elle n’est pas moins efficace !
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