CHRONIQUE. Ecologie et justice sociale : l'impossible conciliation ?
La question a été posée frontalement par Laurent Wauquiez, le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, lors du congrès des maires ruraux de France, le week-end dernier. Il s’y est érigé en pourfendeur du dispositif ZAN, Zéro artificialisation nette, la norme qui impose aux communes d’arrêter progressivement la bétonnisation des sols. Un dispositif "ruralicide" selon Laurent Wauquiez, qui mettrait en péril l’avenir des territoires, au point d’annoncer qu’il ne serait pas appliqué dans sa région.
Cette annonce de retrait n'a a priori aucune chance d’aboutir. L’objectif ZAN est inscrit dans la loi Climat et Résilience : c’est une norme qui s’impose à tous, et les éventuelles collectivités rebelles se verraient vite rattrapées par les tribunaux administratifs. C’est d’autant plus étonnant que cette loi a été votée par l’essentiel du groupe LR à l’Assemblée, et surtout par le Sénat, majoritairement à droite, et traditionnellement très attaché à la protection de la ruralité. On a donc ici une loi dont l’ambition écologique faisait consensus, mais dont la mise en pratique, certes contraignante, se voit aujourd’hui contesté par une partie des élus locaux – Laurent Wauquiez en tête.
Une stratégie politique
Laurent Wauquiez cherche sans doute à se donner l’image du protecteur de la ruralité en lutte contre le centralisme parisien. Le problème, c’est que cela ne s’arrête pas là. Au sein même du gouvernement, il y a dix jours, c’est Bruno Le Maire qui plaidait pour reculer l’interdiction de mettre en location un logement dont les performances énergétiques sont classées G – les fameuses passoires thermiques, qui ne devraient plus pouvoir être louées à partir de 2025. Le ministre de l’Économie a dû faire machine arrière, mais sa sortie n’en a pas moins été très remarquée.
Et ce n’est pas fini : cet été, les ZFE, les Zones à faibles émissions, qui devaient progressivement interdire la circulation des voitures les plus polluantes dans les grandes métropoles, ont été considérablement assouplies. À chaque fois, le constat est le même : les discours écologiques font consensus, jusqu’à ce qu’il faille les faire entrer en application.
Il faut aussi reconnaître que ces décisions ne sont pas faciles, au quotidien, pour une partie des Français. L’obligation de changer sa chaudière, voire d’isoler son logement avant de pouvoir le relouer, va effectivement représenter un investissement très lourd pour une partie des propriétaires. Quant aux Zones à faibles émissions, c’est encore pire : elles risquent de priver certains ménages modestes de leur capacité à se déplacer, au point qu’elles ont été qualifiées de véritables bombes sociales.
Et pourtant, les objectifs n’en demeurent pas moins impérieux. Il nous faut absolument réduire nos émissions de gaz à effet de serre, dont 20% proviennent du secteur résidentiel (chiffre du commissariat général au développement durable). Il nous faut lutter contre la pollution, qui tue chaque année en France plus de 40 000 personnes (chiffre de Santé Publique France). Et il nous faut absolument préserver la biodiversité et les terres agricoles contre la bétonnisation des sols, qui a progressé de 24 000 hectares sur la décennie précédente (chiffres officiels).
Qui seront les perdants de la transition écologique ?
Il n’y a qu’une seule solution : c’est d’assumer que, dans l’immédiat, les normes écologiques feront nécessairement des perdants. Encore faut-il savoir lesquels. Soit on laisse ces normes s’appliquer dans toute leur brutalité, et ce sont les Français les plus modestes, ceux qui n’ont pas les moyens d’assumer les dépenses d’adaptation, qui seront frappés de plein fouet. Soit on prend, en parallèle, de véritables mesures de justice sociale : on va chercher une partie des ressources chez nos concitoyens les plus favorisés, pour amortir le choc chez les autres. Par exemple en réintroduisant une forme d’impôt sur la fortune. C’est d’ailleurs ce que recommande le rapport rédigé par l’économiste Jean Pisani-Ferry à la demande de la Première ministre.
Mais cela supposerait de remettre en cause l’un des dogmes économiques suivi par le gouvernement depuis six ans : la baisse des impôts, à tout prix, et pour tous les Français. L’autre possibilité, bien sûr, c’est de ne pas choisir : remettre les décisions difficiles à plus tard, en reportant ou en assouplissant les normes contraignantes. Électoralement, c’est sans doute plus confortable. Mais ne nous y trompons pas, cette option fera aussi son lot de perdants : en l’occurrence, les générations futures.
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