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CHRONIQUE. Faut-il réformer l'orthographe française ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 30 octobre : le débat sur la réforme de l'orthographe, à l'occasion de l'inauguration par Emmanuel Macron de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des linguistes et personnalités appellent à une nouvelle simplification des règles d'orthographe. Photo d'illustration (JULIO PELAEZ / MAXPPP)

"Il est urgent de mettre à jour notre orthographe" : voilà le titre de la tribune parue le 15 octobre dernier dans le journal Le Monde par plusieurs dizaines de linguistes, universitaires et personnalités du monde de la culture, parmi lesquelles la prix Nobel de littérature Annie Ernaux. Cette tribune prend la suite d’un ouvrage publié en mai dernier chez Gallimard par le collectif des Linguistes Atterré.e.s, qui s’intitulait Le français va très bien, merci.

Ce n’est pas la première fois, loin de là, que l’orthographe fait débat. Souvenez-vous : en 1990, l’Académie Française a décidé de rectifier l’orthographe de plusieurs milliers de mots. De nombreux accents circonflexes ont été supprimés. Et en effet, on peut se demander pourquoi jeûner prend un accent quand déjeuner n’en prend pas. Certains traits d’union sont tombés : pourquoi porte-monnaie s’écrit-il en deux mots quand portefeuille n’en est qu’un ? C’est une bonne question, c’est désormais corrigé.

Des incohérences ont aussi disparu : boursoufler a gagné son deuxième f, pour être aligné sur les deux f du verbe souffler. Enfin, certaines graphies complexes ont été simplifiées. L’Académie Française a par exemple décidé de supprimer le i muet dans oignon, qui s’écrit donc désormais ognon – c’est ce qui avait fait le plus jaser. La tribune parue cette semaine propose de mettre en pratique ces nouvelles orthographes, qui demeurent encore largement sous-employées.

Des linguistes veulent aller encore plus loin

Ils plaident pour de nouvelles rectifications. Uniformiser les pluriels des mots irréguliers, par exemple : des poux et des cailloux prendraient un s, comme des sous. Et même, plus audacieux encore : cette tribune propose de simplifier l’accord du participe passé quand il est conjugué avec avoir. Dans l'expression "L’histoire que j’ai lue", par exemple, lue ne prendrait plus de e. Ce qui, en l’occurrence, aurait des répercussions jusqu’au français oral : "La décision que j’ai prise" deviendrait "La décision que j’ai pris".

Parmi les universitaires, ces propositions sont désormais majoritaires. Mais il subsiste indéniablement des voix très critiques. Une vingtaine de linguistes et d’écrivains ont publié dans Le Figaro une tribune concurrente, intitulée : "Le français ne va pas si bien, hélas". Pour eux, si les gens font des fautes d’orthographe, ce n’est pas l’orthographe qu’il faut corriger, mais les écoliers qui doivent mieux l’étudier ! Le précédent ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, proposait d’ailleurs lui-même de faire une dictée par jour à l’école.

Ce qu’il faut toutefois rappeler, c’est que notre orthographe a toujours évolué avec l’usage, et que cela a toujours fait débat. Par exemple, les accents circonflexes (ceux-là mêmes que la réforme de 1990 a supprimés) ont été popularisés au XVIe siècle par le poète Ronsard, pour remplacer des s muets. Or, d’après la linguiste Nina Catach, à l’époque cela avait déjà fait débat ! Il est normal qu’une langue évolue avec son temps : au contraire, c’est la fossilisation de l’orthographe qui serait une rupture avec la tradition française.

Enjeu : les inégalités entre élèves

Au regard de l’actualité, tout cela peut paraître anodin. Mais ne nous trompons pas : derrière, l’enjeu, ce sont les inégalités entre élèves. L’orthographe, comme tout ce qui a trait à la langue, c’est la première chose dont on hérite de ses parents. Il n’y a aucun mérite à avoir une bonne orthographe quand on est né dans une famille de profs, d’avocats ou de journalistes. Dans une note publiée par l’observatoire des inégalités, le linguiste Christophe Benzitoun remarque que les élèves de CM2 les moins favorisés font, en moyenne, 40% de fautes en plus que les plus favorisés. Avec, derrière, des conséquences très concrètes pour la suite de leur cursus scolaire, et pour l’accès au marché de l’emploi.

Au cours de la scolarité, 80 heures d’enseignement sont dédiées au seul accord du participe passé, tant ce point est compliqué. Plusieurs dizaines d'heures sont consacrées au pluriel des mots irréguliers. Simplifier ces règles permettrait de consacrer ce temps précieux au reste de l’orthographe, ou aux mathématiques, ou à l’histoire, et donc, peut-être, contribuerait à niveler les inégalités sociales. Et, à celles et ceux qui s’offusquent d’une telle proposition, au motif qu’elle rabaisserait l’école républicaine de Jules Ferry, on peut opposer… Jules Ferry, qui s’agaçait lui-même de l’importance donnée à la dictée, au point de déclarer ceci au personnel de l’Éducation nationale : "Messieurs, ce que nous vous demandons à tous, c’est de nous faire des hommes avant de nous faire des grammairiens !" Peut-être pourrions-nous nous inspirer de lui !

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