CHRONIQUE. Le "réarmement", inflexion politique ou concept marketing ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 14 janvier, le "réarmement". Un concept employé par le président de la République lors de ses vœux, et que l’on a entendu depuis à maintes reprises, notamment chez le nouveau Premier ministre Gabriel Attal.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Emmanuel Macron et Gabriel Attal à Arras (Pas-de-Calais) le 13 octobre 2023 (LUDOVIC MARIN / POOL / MAXPPP)

Le "réarmement", c’est LE concept de cette rentrée politique. On le retrouve, en effet, dans les tous premiers mots publiés par Gabriel Attal en tant que Premier ministre, sur X : "Un cap : garder le contrôle de notre destin, libérer le potentiel français et réarmer notre pays". Quelques heures plus tard, toujours sur X, le même terme, sous la plume, cette fois, du président de la République :

Mais c’est bien évidemment durant les vœux aux Français que ce mot a, en premier lieu, été employé par le chef de l'Etat. Et même suremployé : pas moins de huit occurrences dans un discours d’à peine 13 minutes.

D’un point de vue rhétoriques, si on veut être technique on peut parler d’une épanalepse de structure. Un mot très compliqué pour désigner quelque chose d’assez simple, en réalité : cela consiste simplement à répéter un même mot ou une même formule dans chaque phrase ou dans chaque paragraphe. Ce qui permet, au bout du compte, de donner à l’intervention une impression de cohérence globale. Le mot-pivot devient un fil rouge auquel tout ramène. C’est ainsi qu’après avoir écouté Emmanuel Macron, on a le sentiment que chaque pan de sa politique est bien dirigé dans une seule et même direction : le réarmement de la Nation.

Cohérence réelle ou simple procédé de discours ?

Tout dépend de savoir s’il y a véritablement eu, derrière, une réflexion politique et idéologique, qui partirait d’un objectif d’ensemble, et chercherait, ensuite, à le déployer ministère par ministère. Ou si, au contraire, on se contente de chercher un mot suffisamment vague pour qu’il donne l’impression d’englober toutes les décisions, quelles qu’elles soient. En l’occurrence, cela ressemble quand même un peu à cette dernière option.

Le "réarmement", c’est bien évidemment une métaphore : les services publics et l’économie ne peuvent pas se "réarmer", simplement être renforcés. Mais c'est une métaphore avec laquelle on ne peut qu’être d’accord. Je ne connais personne qui souhaiterait désarmer le système de santé ou l’industrie ! Réarmer, oui. Mais réarmer comment, selon quelles priorités, et à quel prix ? Voilà les questions qui divisent, et que, pour l’instant, le président prend soin de laisser dans l’ombre. En rhétorique, c’est ce que l’on appelle un concept mobilisateur : un mot flou, qui parle à tout le monde, mais possède un sens différent pour chacun. C’est le genre de concept que l’on emploie quand on veut donner l’impression de dire de grandes choses, tout en étant sûr de ne froisser personne.

Pourtant, cette métaphore a beau être floue, elle n’en est pas pour autant anodine. Elle a déjà pour intérêt premier d’être bien adaptée au contexte dans lequel nous nous trouvons. Après une année marquée par deux grandes guerres internationales, en Ukraine et à Gaza, l’image du réarmement permet de jouer tout à la fois sur les angoisses de vulnérabilité et sur les demandes de protection des citoyennes et des citoyens. Pour le président de la République, c’est aussi une manière de convoquer l’unité de la Nation derrière son action. Enfin, et surtout, ce vocabulaire martial permet également d’évoquer les valeurs de l’ordre et de l’autorité. En cela, le mot "réarmement" n’est pas insignifiant : il nous dit quelque chose de l'image que souhaite construire le président de la République. Une image qui, elle, peut ne pas plaire à tout le monde.

Quel est le contenu politique derrière ce terme ?

J’aimerais citer ici un beau livre publié en 2021 par le linguiste Damon Mayaffre : Macron ou le mystère du verbe. Il a utilisé une intelligence artificielle pour repérer les mots qui caractérisent le mieux, statistiquement, le langage du chef de l’État. La machine n'a identifié seulement des mots, mais aussi un préfixe : "re". Emmanuel Macron sature ses discours de mots tels que : revoir, rebâtir, refonder, recréer et donc, désormais, réarmer. Or, la spécificité de ce préfixe, c’est qu’il ne désigne pas l’invention de ce qui pourrait être, mais plutôt le retour à ce qui était auparavant.

Derrière ces mots, ce que l’on entend, c’est au fond l’exaltation d’une France d’antan, qui aurait représenté un âge d’or, et qu’il s’agirait de retrouver. C’est intéressant parce que, quand on écoute Emmanuel Macron, il ne cesse de plaider pour "le nouveau monde", "le dépassement", "l’innovation"... Mais quand on observe son langage, on y trouve au contraire de la nostalgie, un regard tourné vers le passé, bref, une forme de conservatisme. Le mot "réarmement" participe totalement de ce mouvement. Et, en cela, on peut se demander s’il n’est pas représentatif de ce que pourraient être, aujourd’hui, les véritables fondements idéologiques du macronisme : l’autorité et le conservatisme.

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