Coupe du monde 2022 : le boycott, sportif, diplomatique ou public, est-il une arme efficace ?
Ce ne sont pas les raisons qui manquent. Cela a été suffisamment dit et rappelé : cette Coupe du monde a le goût du sang et du carbone. Le sang des milliers de travailleurs pakistanais, sri-lankais, népalais, décédés sur les chantiers des stades. Le carbone rejeté par cette absurdité écologique que sont des stades ouverts, climatisés, en plein désert. Sans parler des 160 vols nécessaires, chaque jour, pour assurer le transport des supporters. Sans parler non plus des droits des femmes et des personnes LGBT, qui sont allègrement piétinés par le pays hôte. Non, décidément, ce ne sont pas les raisons qui manquent pour s’offusquer de cet événement.
Faut-il pour autant aller jusqu’à le boycotter ? Sûrement pas, si l’on en croit le président de la République française : "D'abord, ces questions il faut se les poser quand on attribue les événements. Et, que la question soit climatique ou celle des droits de l'Homme, il ne faut pas se les poser quand l'événement est là. Je pense qu'il ne faut pas politiser le sport."
"Il ne faut pas politiser le sport" : voilà donc la position d’Emmanuel Macron. Cela ne peut convaincre personne. Le sport est politique, qu’on le veuille ou non. C’est même l’un des éléments essentiels de ce qu’on appelle le "soft power", c’est-à-dire la capacité d’influence d’un État à l’échelle internationale. Prenons un seul exemple : en 1936, les Jeux olympiques ont lieu à Berlin, en pleine Allemagne nazie. Craignant de faire monter les tensions, les puissances occidentales renoncent à boycotter l’événement. Résultat : les JO de Berlin sont les plus grands jamais organisés à l’époque. L’Allemagne finit première en nombre de médailles. Pour Adolf Hitler, c’est une indéniable victoire symbolique et diplomatique. Bien sûr, le sport est politique.
Un boycott du Mondial au Qatar ?
Le boycott, c’est un mot générique pour désigner plusieurs types d’actions différentes. À l’échelle des relations internationales, le boycott fait partie de ce qu’on appelle "l’arsenal des sanctions". Son objectif, c’est d’infliger des dommages symboliques, diplomatiques, politiques, voire matériels. Quand en 2003, les États-Unis appellent au boycott des vins et fromages français, en réaction au refus de Jacques Chirac de participer à la guerre en Irak, les conséquences sont très concrètes. Cela, c’est un boycott économique. Le boycott sportif en est une variante classique. L’histoire des Jeux olympiques, notamment, regorge d’exemples.
Mais ces boycotts sportifs ont des résultats mitigés, la plupart du temps. Le problème c’est que, pour qu’un boycott sportif soit efficace, il faut que la qualité de la compétition s’en ressente. Ce qui suppose qu’un nombre significatif de pays acceptent de ne pas participer. C’est rarement le cas. Et même quand c’est le cas, cela peut se révéler contreproductif. Par exemple, le boycott des JO de Moscou en 1980 par une partie du bloc occidental a permis aux pays de l’Est de remporter un grand nombre de médailles, ce qui a plutôt contribué à renforcer leur image. Enfin, n’oublions pas les athlètes, pour qui le boycott est une décision cruelle, ainsi que l’opinion publique, qui a envie de voir son pays concourir. Enfin, dans le cas de cette Coupe du monde, il faut ajouter que le Qatar a des intérêts économiques entrelacés avec de nombreux pays, dont la France. Toutes ces raisons expliquent l’absence de boycott.
D'autres types de boycott
Le boycott diplomatique, c’est le fait de laisser les sportifs concourir, mais de n’envoyer sur place aucun représentant de l’État. Pour reprendre l’exemple des JO de Moscou, la France n’y avait justement pas envoyé de représentation officielle. Mais si le boycott est uniquement diplomatique, les conséquences pour le pays hôte restent limités. Pour le Qatar, Emmanuel Macron s’y est de toute façon opposé. Le boycott des villes, c’est-à-dire le fait de ne pas diffuser les matchs sur écran géant (à Paris, Lille, Marseille, Bordeaux notamment), c’est un symbole fort pour le maire ou la maire qui en prend la décision, mais les conséquences internationales sont tout aussi ténues.
S’il n’y a pas d’appel officiel au boycott de la part du pouvoir politique, on sort des relations internationales, pour entrer dans le cadre de l’action collective. À l'échelle du public, le boycott est une arme dans le répertoire des mobilisations sociales. Si les audiences des matchs sont désastreuses, les dégâts symboliques et économiques pourraient être importants. Mais là, il en va de la responsabilité et de la sensibilité de chacun. Les citoyens accepteront-ils de se priver de foot par esprit de responsabilité ? Ça ne me paraît pas gagné, mais, qui sait, nous pourrions être surpris !
Du point de vue de la compétition sportive, indiscutablement le Qatar a gagné au moment où il a obtenu l’attribution. Du point de vue des relations internationales, c’est plus discutable. Quelle que soit l’audience des matchs, ce Mondial aura de toutes façons donné un grand coup de projecteur sur la manière dont le Qatar traite l’environnement et les droits humains. À long terme, il est possible qu’il soit perdant.
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