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Fabien Roussel sur "la gauche des allocs" : l'occasion perdue d'un vrai débat intellectuel

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 18 septembre : la controverse qui a agité la gauche toute la semaine. Peut-on opposer le travail et "les allocs" ?

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, le 14 avril 2022. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

En une petite phrase prononcée le 11 septembre à la Fête de l'Humanité, "La gauche doit défendre le travail et ne pas être la gauche des allocations et minima sociaux", Fabien Roussel a suscité la polémique. Les réactions ont été immédiates de la part de ses alliés de la Nupes : "Ça, c'est ce que dit la droite. C'est ce que dit Emmanuel Macron" (Eric Coquerel). "J'ai l'impression que c'est un discours quasiment réactionnaire" (Marine Tondelier). "Opposer les uns aux autres, ce n'est pas la gauche" (Clémentine Autain). "Le patron du Parti communiste français semble épouser la logique qui a toujours été celle de la droite de culpabiliser les gens qui travaillent pas" (David Cormand).

Fabien Roussel reprendrait donc les mots de ses adversaires. Ce qui n'a pas manqué de l'étonner, comme il nous l'a confié mercredi sur franceinfo : "Le chômage tue, il bousille des vies. Je dis donc que l'ambition que nous devons avoir pour le pays est de garantir à chacun de trouver sa place dans la société, de redonner du sens au travail et de garantir à chacun un travail, une formation, un salaire." Après tout, Fabien Roussel n'aurait fait que défendre le travail et les travailleurs.

Les critiques adressées contre Fabien Roussel sont-elles infondées ? 

Non, au contraire. Elles me semblent parfaitement compréhensibles. En termes rhétoriques, ce que fait Fabien Roussel c'est ce qu'on appelle une antithèse. Il met deux termes en opposition : le travail et les allocations. Or, par définition, ce que l'on oppose, c'est ce qui fait l'objet d'une alternative. On ne met en balance que deux termes entre lesquels on peut choisir. Donc, s'il y a lieu d'opposer travail et allocations, c'est par définition que certains choisiraient de percevoir des allocations plutôt que de retourner au travail. Mais ça, Fabien Roussel n'a même pas besoin de le dire. L'implicite est suffisamment clair pour que tout le monde l'entende.

Au cas ou cela ne serait pas totalement diaphane, il a encore enfoncé le clou : "Il y a ceux qui défendent le droit à la paresse. Il y a ceux qui défendent l'idée de mettre le RSA à 1 000 €. C'est ça aussi qui a tué la gauche, qui a entretenu ce système de revenu de substitution à vie pour certaines familles."

"Le droit à la paresse" : un vocabulaire éloquent ! La paresse c'est le goût pour l'oisiveté, l'évitement de l'effort, bref la fainéantise. Fabien Roussel, ici, sous-entend clairement qu'une partie des Français préféreraient le chômage à l'emploi. Il avait même été encore plus explicite lors de la Fête de l'Humanité quand il avait déclaré : "Les Français nous parlent d'assistanat en nous disant que eux travaillent, au contraire de ceux qui touchent les minima sociaux." Assistanat, c'est le mot traditionnellement utilisé pour fustiger les chômeurs qui refuseraient de prendre un emploi. Certes, Fabien Roussel ne le reprend pas à son compte, mais il fait le choix de le rapporter. Il ne peut pas ignorer quelle lecture politique il est en train de convoquer. 

Sur le fond, est-ce qu'il a tort ?

De mon point de vue, oui. Toutes les études de Pôle emploi montrent que l'immense majorité des chômeurs sont dans une recherche active de travail. Mais c'est une question délicate. Nous aurons peut être l'occasion d'y revenir en détail si le gouvernement se décide à présenter une nouvelle réforme de l'assurance chômage, comme cela semble dans les tuyaux. Et surtout, ce n'est pas l'essentiel. Parce que tout cela, c'est ce que Fabien Roussel laissait entendre le week-end dernier. Or, quand il est revenu sur le sujet en milieu de semaine, la tonalité avait déjà légèrement changé. Mercredi, sur le plateau de C à vous, sur France 5, le secrétaire général du PCF a déclaré : "Les patrons ont besoin d'avoir un vivier de chômeurs sous la main pour faire pression sur l'emploi dans leur entreprise. 'T'es pas content ? Tu t'en vas. Et puis on va prendre quelqu'un d'autre à ta place qui est prêt à travailler'. C'est Karl Marx qui disait ça."

Ici, Fabien Roussel fait effectivement référence à un concept marxiste : le concept de "l'armée de réserve du capitalisme". L'idée derrière ce terme, c'est que plus le chômage est haut et plus le rapport de forces entre salariés et employeurs devient écrasant pour les salariés. La solution que propose Fabien Roussel, ce serait purement et simplement d'éradiquer le chômage. Il ne nous dit pas comment il compte s'y prendre, mais pourquoi pas. Ce qui est intéressant, c'est que, en effet, comme il le dit, il existe une proposition concurrente, celle qui est notamment portée par les économistes Bernard Friot et Frédéric Lordon. Pour eux, la seule façon d'échapper à ce rapport de forces totalement déséquilibré en défaveur des travailleurs (ils parlent même, eux, d'un "chantage à la survie"), ce serait justement de mettre en place un salaire à vie versé par l'Etat. Et de manière amusante, ils exposent cette proposition dans un livre intitulé En travail, conversation sur le communisme.

Il existe aujourd'hui à gauche deux visions concurrentes du travail et même deux visions concurrentes du communisme. Si Fabien Roussel avait amené cela sur le devant de la scène le week-end dernier, on aurait sans doute pu assister à une controverse intéressante. À la place, il a préféré opposer entre eux les travailleurs et les bénéficiaires de la protection sociale. Il a sans doute parlé à son électorat, il y a peut-être gagné en visibilité personnelle, mais de mon point de vue, on a perdu, hélas, l'occasion d'un vrai débat intellectuel.

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