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Jean-Luc Mélenchon : le meeting de l’ancien monde

Jean-Luc Mélenchon, Le candidat de la France Insoumise à la présidentielle, était mardi soir en meeting à Lille, tout en étant dans le même temps rediffusé par hologramme dans 11 autres villes. Un meeting ultra-moderne sur la technique, nettement moins sur la rhétorique. 

Article rédigé par franceinfo
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Clément Viktorovitch, sur franceinfo, mercredi 6 avril 2022. (FRANCE INFO / RADIO FRANCE)

C’est un paradoxe je sais, mais je vais m’en expliquer. D’abord, il faut rappeler qu’on connaît le goût de Jean-Luc Mélenchon pour les innovations en matière de grand rassemblement. En 2012, il avait remis au goût du jour les grands meetings en plein air. En 2017, il avait inventé le meeting par hologramme. Durant la pandémie, il avait tenu le premier meeting virtuel. Puis, au début de la campagne, il avait tenté le meeting immersif et olfactif et, donc, maintenant, ce tour de force : le même discours tenu, depuis Lille lors du meeting mardi 5 avril, en même temps dans 12 villes de France.

L'utilisation de métaphores 

Des innovations techniques au service… d’une rhétorique somme toute classique ! Tout au long du discours, on a par exemple retrouvé le goût de Jean-Luc Mélenchon pour les métaphores. "Vous avez bien suivi les gens vous ont parlé de ruissellement, vous versez ça coule. Et à la fin, c'est censé couler sur vous. Mais ce n'est pas un ruissellement qu'il y a eu, c'est un aspirateur, déclare Jean-Luc Mélenchon lors de ce meeting. Et tout ramener dans leur poches à eux./  Nous ne passerons pas pour le bagage accompagné de l'armée américaine./ Nous sentons notre destin au bout des doigts."

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Le discours est parsemé de métaphores, d’analogies, et je trouve que ces trois-là sont intéressantes parce qu’elles montrent bien leurs différentes utilisations. Les métaphores peuvent se contenter de donner au discours des couleurs, du lustre : "sentir son destin au bout des doigts" par exemple. Mais elles peuvent également servir à condenser, en une seule et unique image, des argumentations parfois complexes. Le "ruissellement de la valeur", qui serait en fait un "aspirateur des profits". On encore, la France qui ne doit pas devenir "le bagage accompagné de l’armée américaine". À chaque fois, on comprend l’idée développée par Jean-Luc Mélenchon, sans qu’il ait besoin de la développer et, donc, de l’étayer. En ce sens, prenons garde : la métaphorie est un outil élégant et puissant, certes, mais qui peut aussi servir à masquer une absence de rigueur.

Au-delà des métaphores, Jean-Luc Mélenchon a utilisé une autre signature, un peu plus singulière celle-ci. le candidat la France insoumise a passé plus de la moitié de son discours, non pas à présenter son propre programme, mais bien à revenir sur les déclarations de ses deux principaux adversaires, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Plus de la moitié du discours en objections et en réfutations : "il vous a dit", "elle a déclaré", mais "moi je leur réponds". Et parfois, c’est allé assez loin. "Je vous parle des animaux, insiste Jean-Luc Mélenchon parce que tout le monde m'a dit :"ah t'as vu madame Le Pen on la voit avec des chats. Alors, moi je n'ai pas de chat, j'ai qu'un cactus, c'est moins sympa pour Instagram[...] Alors elle veut créer un nouveau droit civil pour les animaux. Mais qui c'est qui va lui dire que c'est déjà fait depuis 2015. C'est la loi, elle est même pas au courant. Elle vous propose d'appliquer la loi, la belle affaire."

Le principe de l'interaction argumentative

Ici, Jean-Luc Mélenchon ne se contente pas de répondre aux arguments développés par Marine Le Pen : "Elle veut créer un droit civil pour les animaux, ça existe déjà". Au-delà, il s’attaque même à la stratégie déployée par la candidate du Rassemblement national pour adoucir son image – en l’occurrence, les vidéos de ses chats, dont elle abreuve les réseaux sociaux. À cette stratégie Jean-Luc Mélenchon oppose ce que l’on appelle un argument ad hominem, c’est-à-dire une mise en contradiction de l’adversaire avec lui-même. Marine Le Pen se présente en amie des animaux mais, selon lui, son programme ne proposerait rien de concret pour la condition animale. Nous sommes donc bien dans une véritable interaction argumentative : malgré le fait que Jean-Luc Mélenchon soit seul sur la scène de son meeting, il dialogue avec ses contradicteurs. 

Jean-Luc Mélenchon, candidat La France insoumise (LFI) à la présidentielle de 2022, salue le public lors d'un meeting de campagne à Lille, le 5 avril 2022. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

Une configuration du discours qui est  très ancienne. Si vous reprenez les meetings de 2012 par exemple, vous verrez que Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont cessé de s’interpeller et de se répondre de meeting en meeting. C’est le paradoxe de ces discours : ce sont des monologues en interaction. Du moins, ils l’avaient été jusqu’à la présidentielle de 2017 ! Les candidats avaient alors pu s’affronter directement, tous ensemble, sur des plateaux de télévision. Ces débats du premier tour n’ont pas eu lieu cette année, du fait du refus d’Emmanuel Macron de s’y plier. Nous revenons donc aux vieilles dispositions : les interpellations distantes, fut-ce, sous une forme innovante. Comme quoi, c’est parfois dans de nouvelles marmites… qu’on fait les plus vieilles soupes ! 

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