La fermeture de Fessenheim, un choix politique que les politiques ont du mal à assumer
Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 11 septembre : la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.
C’est un dossier que l’on pensait définitivement derrière nous, avant que la guerre en Ukraine ne lui donne une actualité renouvelée. Les prix de l’énergie s’envolent. La France dépense des milliards en bouclier énergétique pour tenter de contenir l’inflation. Plus de la moitié de notre parc nucléaire est à l’arrêt pour maintenance.
Au vu de ce contexte, était-ce réellement une si bonne idée que d’arrêter les deux réacteurs de Fessenheim, qui auraient pu nous aider à traverser cette crise énergétique ? La question avait été posée dès le mois dernier à la Première ministre.
"Quand la décision a été prise dans le quinquennat de François Hollande, la poursuite de l'activité n'était pas possible. Chacun doit assumer ses responsabilités."
Elisabeth Borne, Première ministrele 31 août 2022
Pour Elisabeth Borne, la question ne se posait donc pas vraiment, elle avait été tranchée sous le quinquennat de François Hollande. Sur la forme, c'est bien le cas : un décret de fermeture a bien été signé le 8 avril 2017 par la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal. Mais sur la forme seulement. Déjà parce que cette décision était inapplicable : le décret précisait que la centrale de Fessenheim ne pourrait fermer qu’une fois l’EPR de Flamanville mis en fonctionnement… ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Ensuite, elle était peu légitime : prendre une telle décision à seulement quelques jours d’une élection présidentielle, cela peut interroger. Conséquence : le décret a été jugé illégal par le Conseil d’État en octobre 2018.
C’est donc bien Emmanuel Macron qui a pris la décision définitive de fermer la centrale durant son premier quinquennat, comme s’en félicitait d’ailleurs, le 30 juin 2020, sa ministre de la Transition écologique, une certaine Élisabeth Borne : "Cela fait des années qu'on dit qu'il faut fermer des centrales nucléaires. Il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui le font. Nous, on le fait. Je pense que c'est ce qu'il faut faire pour être moins dépendant de l'énergie nucléaire." En l’occurrence, c’est bien cette Élisabeth Borne qui avait raison : juridiquement, Emmanuel Macron n’était en rien contraint à fermer Fessenheim.
Une fermeture techniquement inéluctable ?
C’est ce qu’a laissé entendre le président de la République lundi 5 septembre, quand la question lui a été posée en conférence de presse : "La décision stratégique avait été prise cinq ans avant, sur la plus vieille centrale du parc. L'analyse factuelle, c'est que le choix le plus rationnel était en effet de confirmer sa fermeture."
"Qu'on ne vienne pas me rechercher sur Fessenheim ! La messe était déjà dite."
Emmanuel Macronle 5 septembre, lors d'une conférence de presse
On retrouve la rhétorique bravache du président de la République ("Qu’on ne vienne pas me rechercher sur Fessenheim !"). Mais derrière, ce que l’on entend, c’est bien un argument technique... qui ne tient pas. L’Assemblée nationale a conduit, en 2021, une mission d’information sur la fermeture de cette centrale. Les conclusions du rapport sont accablantes : "Les auditions démontrent, sans ambiguïté possible, que ni la sûreté, ni la sécurité de la centrale n’ont conduit à l’arrêt des réacteurs". D’après ce rapport parlementaire, en 2017, Emmanuel Macron aurait parfaitement pu revenir sur la fermeture de Fessenheim : il n’y était contraint ni techniquement, ni juridiquement.
En fait, un choix politique
La fermeture de Fessenheim était une condition, certains ont dit une offrande, pour obtenir le ralliement d’une partie des écologistes à la majorité présidentielle, Nicolas Hulot en tête.
A posteriori, quand on considère la situation actuelle du marché de l’énergie, cette décision paraît difficilement justifiable. Elle a coûté entre 400 et 600 millions d’euros à l’Etat, qui a dû indemniser EDF, et s’est vu amputé de recettes fiscales garanties. Elle prive la France d’une énergie devenue précieuse. Et tout cela sans parler des milliers d’emplois supprimés, du bassin industriel à reconstruire, etc...
Mais paradoxalement, je ne suis pas sûr que cela puisse être reproché à Emmanuel Macron. Par définition, gouverner, c’est prendre des décisions sans avoir aucune assurance quant à leurs conséquences. Personne ne pouvait savoir que nous serions confrontés aussi vite à une crise de l’énergie aussi grave – on pouvait peut-être le prévoir, c’est vrai, mais sans aucune certitude. Reprocher a posteriori au pouvoir politique d’avoir fait les mauvais choix, c’est toujours un peu facile.
En revanche, ce que l’on peut exiger du pouvoir politique, c’est qu’il assume ses choix. Qu’il en prenne, comme il le doit, l’entière responsabilité. Non, la fermeture de Fessenheim n’avait rien de rationnel. Elle était politique. Ce n’est pas un gros mot… Mais, de mon point de vue, c’est un mot qu’il faut avoir le courage d’assumer.
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