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Réforme de l'assurance chômage : la grande illusion

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 9 octobre : la réforme de l’assurance chômage.

Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion était l'invité du "8h30 franceinfo", mercredi 24 août 2022. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Il s'agit de la deuxième réforme de l’assurance chômage en deux ans : après la réforme Pénicaud en 2021 qui a, déjà, durci les conditions d’accès au chômage, c’est désormais la réforme Dussopt qui a été examinée cette semaine à l’Assemblée nationale. Alors, pourquoi un nouveau texte aussi vite ? Parce qu'ils ne répondent pas aux mêmes objectifs, comme nous l’expliquait Olivier Dussopt sur franceinfo le 24 août dernier. "L'objectif que nous avons est simple. C'est faire en sorte que lorsque l'économie va bien, lorsque des emplois sont créés, lorsqu'il y a des difficultés de recrutement, les règles d'indemnisation soient plus incitatives à la reprise du travail. Et c'est aussi de faire en sorte que lorsque l'économie va moins bien, lorsque des emplois sont supprimés, ces règles soient plus protectrices." Sur le papier, il s’agit bien d’une grande réforme structurelle pour le marché de l’emploi.

Ces deux réformes, Pénicaud et Dussopt, reposent en réalité sur un seul et même raisonnement : puisqu’il y a, en France, tout à la fois des chômeurs indemnisés et des emplois non pourvus, en durcissant les règles du chômage, nous encourageons le retour à l’emploi. Le seul problème, c’est que le marché du travail n’est pas homogène. Olivier Dussopt se réfugie derrière une formule en apparence simple : "Quand ça va bien, on durcit les règles". Mais quand ça va bien où ? En France, en ce moment, on a des difficultés de recrutement dans certains secteurs : le transport, le bâtiment, la restauration. Mais dans le même temps, on observe des vagues de licenciements dans l’industrie. Vous voyez bien le problème : si on se concentre sur des indicateurs nationaux pour moduler les règles de l’assurance chômage, on va accroître la précarité de travailleurs déjà fragilisés par la conjoncture économique.

N'est-ce pas une bonne solution pour améliorer l’emploi ? Cela n’a rien de certain. L’hypothèse sur laquelle repose toute cette réforme, c’est que les chômeurs indemnisés auraient tendance à profiter de leurs allocations pour se la couler douce. Le problème, c’est que cette idée à été réfutée à maintes reprises. Soyons clairs : qu’il y ait ici et là quelques fraudeurs, et que ces fraudeurs doivent être sanctionnés : c’est une évidence. Mais si vous regardez la situation dans sa globalité, elle est limpide. D’après les chiffres officiels de Pôle Emploi, seuls 92% des chômeurs indemnisés cherchent activement un emploi. Dans une tribune publiée il y a deux semaines dans Le Monde, trois chercheurs spécialistes des politiques sociales estiment, en se fondant sur des études universitaires, que "réduire le montant ou la durée des allocations-chômage n’améliore pas le niveau global de l’emploi". Au fond, la réalité tient en une phrase : l’écrasante majorité des chômeurs ne demandent qu’une chose, c’est sortir du chômage.

Dans ce cas, quels seront les effets de cette réforme ? Ils seront de deux ordres. Pour les chômeurs : une augmentation de la pauvreté. Le nombre de chômeurs indemnisés par Pôle Emploi est actuellement en chute libre : il était de plus de 40% quand Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir, il n’est plus que de 36%. Ce sont autant de chômeurs qui ont été rejetés dans la précarité. Là encore, ce sont des chiffres officiels. Pour l’Etat, en revanche, la conséquence est simple : ce sont des économies. La réforme Pénicaud a déjà permis d’économiser plus de deux milliards d’euros par an sur le compte des travailleurs en difficultés. La réforme Dussopt, on n’en sait rien, ce qui est en soi un problème, mais cela ira de toutes façons dans la même direction.

Et en même temps, rappelons qu’Emmanuel Macron poursuit sa politique de suppression d’impôts pour les entreprises. Au fil des années, cela représente désormais des centaines de milliards d’euros en moins dans les caisses l’État : une asymétrie criante qui, je crois, devrait nous interroger.

Il n’y a donc pas besoin d’une réforme de l’assurance chômage ? Au contraire ! On a appris cette semaine de la part du Ministère du Travail qu’au moins un quart, et peut-être même la moitié des chômeurs qui pourraient prétendre à des allocations chômage n’y ont pas recours. Ils ne les demandent jamais ! Pourquoi ? Parce que les campagnes d’information sont insuffisantes. Et les démarches administratives décourageantes. Simplifier les procédures de Pôle Emploi pour mieux protéger les travailleurs qui ont cotisé, au lieu de les stigmatiser : voilà, de mon point de vue, quelle pourrait être une réforme ambitieuse de l’assurance chômage.

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