Réformer les retraites : une question de "bon sens" ?
Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Dans son allocution mardi 9 novembre, Emmanuel Macron annonçait sa volonté de reporter l'âge de départ à la retraite, dans le courant de l'année 2022. Une mesure présentée comme relevant du bon sens, à ceci prêt que le bon sens… n'existe pas ! René Descartes, déjà, notait avec malice que le bon sens est "la chose du monde la mieux partagée". Et c'est vrai. Je ne connais personne qui se revendiquerait fièrement son "mauvais sens". Tout le monde pense agir en vertu du bon sens. Et pourtant, certains continuent d'en faire une boussole de l'action politique !
C'est notamment le cas de Laurent Pietraszewski. Le secrétaire d'État aux retraites était l'invité de franceinfo mercredi. Et en effet, il est revenu sur la volonté affichée par le président Macron de faire travailler les français plus longtemps. "Il faut sauver le système par répartition qui nous lie entre les générations, a-t-il affirmé. Il est nécessaire pour cela de le mettre à l'équilibre, et on le fait d'une relation relativement simple, c'est en travaillant plus. C'est du bon sens et c'est indispensable parce que ce système de retraites, c'est ce qui fait le socle de notre contrat social entre nous.
"Le bon sens, il n'est ni à droite ni à gauche, c'est du bon sens."
Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État aux retraitesà franceinfo
Alors, ici, rien de très nouveau. On retrouve l'argumentation qui a été déployée pendant des mois par le gouvernement en 2019 : puisque nous vivons plus longtemps, si nous voulons sauver nos retraites, il va bien falloir travailler plus longtemps. En apparence, c'est effectivement du bon sens… sauf que c'est plus compliqué que cela. D'une part, parce qu'allonger la durée de cotisation des travailleurs n'est pas la seule option. On pourrait par exemple envisager plutôt d'augmenter les cotisations sociales des entreprises, qu'Emmanuel Macron a beaucoup baissées. Je ne sais pas s'il s'agit de la bonne solution. En revanche, c'est bien une solution possible.
Et même, au-delà : il n'est pas du tout certain qu'il y ait besoin d'une solution. Dans son rapport de 2021, le Conseil d'Orientation des Retraites estime que, en conservant les règles actuelles : "Les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l'horizon de la projection, c'est-à-dire 2070." En clair : cela signifie qu'il n'y aurait pas urgence, et peut-être même pas besoin, de réformer le système de retraites.
Le bon sens n'est pas un argument
Alors pourquoi le gouvernement veut-il réformer le système de retraites ? On a prononcé le mot magique : il veut le faire ! C'est un choix, qui a du sens d'ailleurs : il permet continuer à diminuer les cotisations sociales payées par les entreprises et les salariés. Mais cela ne reste qu'un choix, entre plusieurs alternatives.
Et nous touchons ici au cœur du problème. Le bon sens n'est pas un argument. Il n'est rien d'autre qu'un outil rhétorique, permettant de mobiliser à son profit les évidences les plus immédiates. Sauf que celles-ci sont souvent trompeuses. Si nous avions écouté notre bon sens, nous penserions encore que la Terre est plate, et que le soleil tourne autour. Parce que c'est ce que nous disent les évidences.
Mettre en avant le bon sens, en politique, cela revient à dire : "C'est bon. Ne réfléchissez pas trop. Si ça a l'air vrai, c'est que ça l'est. Et ceux qui disent le contraire sont des idéologues." La politique est toujours affaire d'idéologie. Toute décision est toujours un choix, qui avantage certains au détriment d'autres. Le bon sens n'est jamais que le masque dont se pare une idéologie parmi d'autres : celle qui est dominante, et qui, donc, nous paraît évidente. Cela vaut pour tous les sujets. À commencer par le débat sur la réforme des retraites.
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