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Sortira-t-on de la crise des retraites par le dialogue ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 2 avril : comment sortir de la crise liée à la contestation sur la réforme des retraites ?
Article rédigé par franceinfo, Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les représentants des syndicats annonçant une première journée de mobilisation contre la réforme des retraites, à Paris le 10 janvier 2023 (JULIEN DE ROSA / AFP)

Élisabeth Borne doit rencontrer les syndicats à Matignon mercredi 5 avril. Alors que le mouvement de contestation contre la réforme des retraites a prévu de se mobiliser, pour une 11e journée d'action, le lendemain, une question est sur toutes les lèvres : comment faire pour sortir de la crise ? Médiation, concertation, négociation.. Beaucoup de propositions circulent cette semaine.

 

Est-ce encore la peine de se parler ? C’est une question provocatrice, bien sûr, mais vous allez voir qu’on peut commencer à se la poser. D’abord, il faut revenir à ce qui s’est passé en début de semaine : Laurent Berger a proposé d’engager une médiation entre les syndicats et l’exécutif. Proposition rejetée, sur le champ, par la Première ministre. Une médiation, qu’est-ce que c’est ? En fait c’est simple : ce n’est rien d’autre qu’une négociation dans laquelle les différentes parties s’accordent pour nommer une tierce personne, neutre, qui va faciliter la recherche d’un accord.

Les raisons de recourir à la médiation 

Vu le niveau de tension, sur le papier, cela pouvait ressembler à une bonne idée, mais sur le papier seulement. Si on se réfère aux théories de la négociation, il existe trois grandes raisons qui justifient de recourir à une médiation : la procédure, les personnes, ou le problème. La procédure, d’abord, quand il faut gérer des négociations très complexes, par exemple, les grands sommets internationaux sur le climat. Là, oui, il vaut mieux nommer des médiateurs. Mais nous sommes très loin du débat sur les retraites, qui reste relativement simple. Ensuite, le cas le plus classique : les personnes. La médiation devient nécessaire quand les interlocuteurs nourrissent une telle défiance, qu’ils ne parviennent plus à se parler directement. C’est ce qui se passe souvent dans les conférences de paix, quand il faut réussir à faire dialoguer des parties qui s’entretuent sur le champ de bataille. Dans le cas des retraites, nous sommes dans un niveau de tension qui n’a, évidemment, rien à voir. Reste, alors, la troisième raison : des difficultés liées au fond du problème, avec des interlocuteurs qui n’arrivent pas à comprendre leurs motivations respectives.

Cette raison invoquée par Laurent Berger n’est pas beaucoup plus convaincante. Après des mois de débats sur les retraites, les positions sont tout de même assez claires. On voit mal quel nouvel élément pourrait soudain être révélé. Bref, quand on fait les comptes, il est difficile d’identifier une seule raison valable qui pourrait justifier d’en passer par une médiation. D’ailleurs, la preuve, selon l’historien Stéphane Riot, interrogé par nos confrères du Parisien Aujourd’hui en France, c’est la première fois qu’une demande de facilitation est formulée dans un conflit social d’ampleur nationale.

Activer l"'effet cliquet"

Cette proposition de l’intersyndicale  procède de raisons purement tactiques. Tout se situe dans le préalable qui était exigé par les syndicats : mettre la réforme sur pause. L’objectif, derrière, c’était évidemment d’activer ce qu’on appelle un "effet cliquet". Si l’exécutif avait cédé sur les 64 ans, fut-ce de manière temporaire, il lui aurait été quasiment impossible de faire machine arrière, quelle que soit l’issue des négociations. Notez que ce ne n’était pas vain pour autant : Emmanuel Macron aurait pu se saisir de l’occasion qui lui était offerte pour sortir du conflit, tout en sauvegardant les apparences. Il en a décidé autrement. Dès lors, le rejet de cette médiation allait de soi.

La Première ministre a tout de même proposé une rencontre, mais ça ne change rien. Le préalable posé par le gouvernement, c’est de ne pas parler des 64 ans. Je vois mal comment cette rencontre pourrait être autre chose qu’un dialogue de sourd. Et au fond, c’est parfaitement normal. Pour le gouvernement, tout est négociable, sauf les 64 ans. Pour les syndicats, tout est négociable, à condition d’abandonner les 64 ans. En théorie de la négociation, dans une telle situation, on dit que les lignes rouges sont mutuellement exclusives : on peut toujours parler, mais jamais on ne se mettra d’accord.

Rapport de force ou délibération

Quand une négociation bloque pour sortir de la crise, je ne vois que deux solutions. La première, nous sommes en plein dedans, c’est l’exercice du rapport de force. On attend qu’une des deux parties finisse par craquer et renoncer. Mais il existe une autre option, la délibération. On arrête de s’écharper sur la recherche d’un compromis, pour tenter de bâtir un consensus. Et il se trouve que nous avons désormais, pour cela, un formidable outil : les conventions citoyennes. Il y en a déjà eu deux, en France. L’une sur le réchauffement climatique, l’autre, très récemment, sur la fin de vie. Deux questions incroyablement complexes et controversées, pour lesquelles des citoyens tirés au sort sont parvenus à dégager des propositions consensuelles et équilibrées. Ça fonctionne !

L’exécutif pourrait parfaitement décider de retirer sa réforme, pour réunir, à la place, une convention citoyenne sur les retraites. Si Emmanuel Macron a, sincèrement, pour seul objectif, de garantir la pérennité du régime par répartition, voilà une solution qui permettrait, sans nul doute, d’apaiser les tensions.

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