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Euromythes : pas de cadeaux pour les Anglais à cause de Bruxelles...

Des médias britanniques affirment que des cadeaux commandés en ligne par les Britanniques n'arriveront pas à temps pour le 25 décembre, faute de chauffeurs routiers obligés de suivre une formation exigée par l'Union européenne. Cette histoire s'insolite s'ajoute à la longue liste des euromythes.
Article rédigé par Thomas Rozec
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
  (© Maxppp)

A lire les journaux britanniques comme le Daily Mail, le Times ou le Mirror, qui ne sont pas connus pour leurs sympathies envers l'Union européenne, les commandes de cadeaux en ligne effectués par les Britanniques n'arriveront pas à temps pour le 25 décembre. Pourquoi? En raison d'un manque de chauffeurs routiers obligés de suivre une formation supplémentaire exigée par une directive européenne durant ces dernières semaines de décembre.

Faux, rétorque le site de la représentation britannique de la Commission européenne qui explique d'une part que ce certificat n'a pas pour but d'enquiquiner les ménages mais d'améliorer la sécurité routière et que d'autre part, ce n'est pas Bruxelles qui est responsable de la pénurie à venir de chauffeurs routiers expérimentés en raison de retraites anticipées. La directive pointée du doigt incombe, elle, aux Etats-membres d'assurer une formation additionnelle de 35 heures d'ici 2016.

Cet histoire insolite de prime abord s'ajoute à la longue liste des euromythes. Une fable qui part bien souvent d'un élément de notre vie quotidienne, souvent ayant trait à l'alimentation ou l'électroménager, qui serait sur le point d'être modifiée, voire menacée par Bruxelles.

Derrière les euromythes, l'excès de régulation européenne

"L'histoire change, mais la base reste la même : pourquoi l'Union européenne perd son temps et notre argent à décider quelle devrait être la meilleure forme d'une banane" , explique Simon Usherwood, professeur de sciences politiques à l'université de Surrey en Grande-Bretagne qui s'intéresse particulièrement à l'euroscepticisme. Il fait ici référence à un euromythe du milieu des années 1990 qui, pour beaucoup, représente ce que sont les euromythes. Le mot s'était propagé en Angleterre que l'Union européenne allait interdire les bananes trop petites ou courbées car Bruxelles était alors en train de revoir sa catégorisation des fruits et des légumes pour le commerce.

"Cela montre aussi la faiblesse du lien d'appartenance à l'Union européenne. Dans l'esprit des gens, cela renforce l'idée que Bruxelles est tellement loin de nous que les fonctionnaires ne prennent pas la peine de savoir quel sera l'impact de leur textes de loi sur nos vies", analyse-t-il.

Qui sont les créateurs de ces euromythes?

"La presse britannique est la plus friande des euromythes. A mon avis, il y a une corrélation à retrouver entre le déclin de l'approbation des peuples pour la construction européenne", affirme Michael Malherbe, consultant en communication qui tient un blog sur la communication européenne depuis 2007. "Cela ne pourrait pas fonctionner par ailleurs si c'était totalement invraisemblable et totalement éloigné de l'agenda européen" , ajoute-t-il.

Autre exemple : l'interdiction du grille-pain à deux fentes, intox relayée par des médias et des politiques eurosceptiques comme le

ou le parti britannique Ukip.

L'euromythe a été déconstruit point par point par le site indépendant Factcheck.eu à partir des documents de travail utilisés pour une directive européenne qui vise à améliorer la performance environnementale de certains objets de notre quotidien. Le grille-pain ne faisait uniquement partie que d'une liste de produits que Bruxelles souhaitait étudier pour voir comment l'énergie pourrait être moins gaspillée.

"Ces euromythes deviennent de plus en plus mobiles et dépassent les frontières, notamment grâce aux réseaux sociaux. Ils peuvent très bien commencer dans un endroit précis et être relayés ailleurs" , estime Simon Usherwood. Blogs, Facebook ou Twitter sont alors de nouvelles caisses de résonnance à ces euromythes dont la durée de vie est souvent indéfinie. "C'est typiquement le genre de choses qui fait l'objet d'une chaîne de mails envoyés à des destinataires en boucle. C'est à la fois le public qui aime ça et un format adapté aux moyens de communication actuels ", renchérit Michael Malherbe.

Quand l'Union européenne commence à démentir

Ce qui est intéressant derrière ces euromythes est ce qu'ils disent du fonctionnement de l'Union européenne. "C'est un indicateur intéressant à la fois du manque d'information et de communication de l'Union européenne" , estime le communicant.

Ce n'est que depuis l'ère Barroso à la Commission européenne que le service des porte-parole a commencé à déconstruire les euromythes, de manière brève au début jusqu'à des analyses plus poussées. Le site de la représentation britannique à la Commission européenne est lui particulièrement actif à ce sujet. Tout comme une députée du sud-est britannique appartenant au parti europhile des Libéraux-Démocrates Catherine Bearder.

Depuis deux ans et demi, celle-ci a une page Facebook appellée "Euromyth Buster" où elle traque les euromythes, essentiellement propagés par les médias britanniques. "J'étais frustrée de voir ces choses absurdes imprimées", confie-t-elle à France Info. Elle a sauté le pas après avoir lu dans le Daily Mail fin novembre 2012 que Peter Pan allait être rayé des listes de lecture des écoliers britanniques sur ordre de Bruxelles. "Nous avions simplement évoqué Peter Pan dans nos documents de préparation sur un texte sur la représentation des stéréotypes de genre dans la culture", se justifie-t-elle encore aujourd'hui.

Au-delà de ces démentis, qui ont aussi l'effet paradoxal - appelé effet Streisand sur Internet - de donner une seconde vie aux euromythes, d'autres sites indépendants y accordent de plus en plus d'importance. C'est le cas de Factcheck.eu créé par la plateforme italienne Plagella Politica au moment des élections européennes de mai 2014. Eux distinguent même un niveau d'élaboration dans les euromythes, du "plutôt idiot" au "gros mensonge". Alexios Mantzarlis, un des co-fondateurs du site, note une évolution des euromythes en fonction des sujets qui font débat dans tel ou tel pays. Par exemple en Grande-Bretagne, "les euromythes sont progressivement passés de "combien l'Europe nous coûte" à des sujets comme l'immigration".

Cependant, comme tout fact-checking, le défi est de rendre la législation européenne compréhensible pour tous face à des euromythes si aisément viraux pour leur simplicité. "Si vous regardez les démentis, les vérifications, oui, ils vous expliquent que ce n'est pas vrai, exagéré, mais ce n'est pas dit simplement. Il faut donner des éléments - qui fait quoi, quel est le texte législatif dont on parle, comment cela a été mal interprété. Cela donne des choses très techniques avec un temps de lecture et de compréhension que la plupart des gens ne prennent pas" , estime Simon Usherwood.

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