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Histoires d'info. Les péages, ces objets de la colère populaire

Bien avant les "gilets jaunes", péages et autoroutes  ont concentré les colères, en symnoles d’une trahison supposée de l’État.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un péage en région parisienne le 30 août 1975. (LAURENT MAOUS / GAMMA-RAPHO)

Tout remonte au début des années 1960 avec l’apparition d’un nouveau mot très ancien : "péage". C'est le meilleur moyen trouvé pour financer la construction des autoroutes assurée par des sociétés d’économie mixte contrôlées par l’État. Pour l’anecdote, le premier péage est inauguré en mars 1961 sur le premier tronçon de l’autoroute de l’Esterel, entre Puget-sur-Argens et Mandelieu-La Napoule.

Et à ce moment-là, les péages ne sont pas là pour durer : "Ce péage sera limité dans le temps, lorsque l'amortissement de l'autoroute sera assuré", explique l'exécutif de l'époque. Et ça, c’est la première trahison. Mais celle-ci pèse peu face à la deuxième. Avant de plonger au cœur de la grande privatisation de 2005 dont on parle beaucoup sur les ronds-points et les péages occupés, il faut savoir que confier la construction et la gestion au secteur privé est une chose très ancienne.

Privée ou publique, mais avec un péage

Le premier tronçon privé date d’octobre 1972, entre Paris et Chartres avec son fameux péage, très encombré chaque week-end, celui de Saint-Arnoult. Quand Yves Mourousi demande des explications à Michel Fève, directeur des Routes au ministère de l'Equipement, celui-ci répond : "Autrefois, les autoroutes étaient essentiellement construites par l'État. Il a été décidé de libéraliser le système".

On a donc pendant quelques décennies la cœxistence d’autoroutes publiques et d’autoroutes privées, mais avec le péage pour tous. La privatisation commence sous la gauche plurielle en mars 2002, qui décide de l'ouverture du capital des Autoroutes du Sud de la France. Cette ouverture de capital se poursuivra sous le gouvernement Raffarin qui refuse la privatisation voulue par Bercy, qui parvient en 2005 à convaincre le nouveau Premier ministre, Dominique de Villepin.

Ce projet fait des remous, y compris au sein de la majorité. François Bayrou, opposant de l’intérieur, est l’un des plus véhéments : "Ces sociétés d'autoroutes appartiennent aux Français, c'est eux qui les ont payées !", expliquait-il. Cet argument ne fera pas ployer l’État qui en 2006 vend ses sociétés publiques à trois groupes privés, Vinci, Eiffage et Abertis, pour quasiment 15 milliards d’euros. Une bonne affaire selon la Cour des comptes qui en 2009 a conclu que la vraie valeur était de 25 milliards.

Des marges nettes phénoménales

Mais le pire est que l’État a vendu au très mauvais moment : celui où les péages commencent à permettre d’engranger des bénéfices et plus seulement à amortir les énormes investissements. C'est l’affaire du siècle pour les trois groupes privés qui affichent des marges nettes de l’ordre de 20 à 24%. Sur 100 euros que vous payez, elles font entre 20 et 24 euros de bénéfice net, et donc accumulent des dividendes très importants financés par les automobilistes qui voient le prix des péages augmenter nettement plus vite que l’inflation, alors que dans le même temps, le nombre des salariés des sociétés a fondu de 2/3 depuis la privatisation de 2006. Si vous êtes en voiture, il y a de grandes chances que vous payiez à une machine.

Pour leur défense, les sociétés d’autoroutes privées mettent en avant les 17 milliards d’euros d’investissement dépensés en 10 ans, notamment pour construire des autoroutes non rentables, ou encore le fait que 40% de ce qui est payé au péage revient dans les caisses de l’État. Mais ça, ça fait une belle jambe aux gilets jaunes.  

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