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"Il n'y a pas d'antidote contre le poison de la calomnie" : le suicide de Roger Salengro

Le 18 novembre 1936, détruit par trois mois de calomnie, le ministre de l'Intérieur du Front populaire, Roger Salengro se suicide chez lui à Lille. Lors des obsèques, Léon Blum prononce un grand discours empreint de tristesse et de colère.
Article rédigé par Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2min
  (Roger Salengro était le ministre de l'Intérieur du gouvernement de Léon Blum © Maxppp)

Retour le 22 novembre 1936. Le Président du Conseil Léon Blum assiste aux obsèques de son ministre de l’Intérieur, et son ami, Roger Salengro. Les mots de Léon Blum traduisent la tristesse et la colère...

 

"Il n'y a pas d'antidote contre le poison de la calomnie. Une fois versé, il continue d'agir quoiqu'on fasse dans le cerveau des indifférents, des hommes de la rue comme dans le cœur de la victime. Il pervertit l'opinion, car depuis que s'est propagée, chez nous, la presse de scandale, vous sentez se développer dans l'opinion un goût du scandale. Tous les traits infamants sont soigneusement recueillis et avidement colportés. On juge superflu de vérifier, de contrôler, en dépit de l'absurdité parfois criante. On écoute et on répète sans se rendre compte que la curiosité et le bavardage touchent de bien près à la médisance, que la médisance touche de bien près à la calomnie et que celui qui publie ainsi la calomnie devient un complice involontaire du calomniateur"

 

Quelques jours plus tôt, dans son appartement du Boulevard Carnot de Lille, un mardi, à 18h, Roger Salengro avait ouvert le gaz de sa cuisinière pour en finir. Mais si Blum parle de calomnie, c’est parce que Salengro lui a laissé une lettre où il a écrit.

 

"Le surmenage et la calomnie, c’est trop. Le chagrin m’a vaincu. Ils n’ont pas réussi à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort"

A côté de la photo de sa femme et de la lettre à Léon Blum et à son frère Henri, Roger Salengro a pris soin de déposer deux numéros du journal Gringoire. Un journal d’extrême droite qui depuis trois mois traîne le ministre de l’Intérieur dans la boue. Gringoire comme toute la presse d’extrême droite a fait de Salengro une cible à abattre.

On lui reproche notamment d’avoir accéléré la dissolution des ligues d’extrêmes droite. La violence est extrême. Blum lui-même avait été lynché par des jeunes monarchistes croisés par hasard dans Paris en février 1936. C’est Gringoire qui en août 1936 avait lancé les hostilités en se demandant en Une :

 

"Roger Salengro, ministre de l'Intérieur, a-t-il déserté le 7 octobre 1915 ?"

C’est de la pure calomnie, Salengro était en fait prisonnier de guerre. Mais les attaques ne cesseront plus jusqu’à conduire Salengro au suicide. Pour ses amis, la mort de sa femme et la campagne de calomnie ont eu raison de sa résistance. L’émotion qui suit la mort de Salengro est immense. Mais les ennemis de Salengro ne se taisent pas : dans L’Action Française, Maurice Pujo écrit au sujet de Salengro que "sa conscience nette aurait suffi à le maintenir debout. Voilà ce qui aurait été la réaction d’un honnête homme." Abject.

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