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Le fichage, entre urgence sécuritaire et exigence de liberté

Et revoilà, comme après chaque attentat, la question des fichés S et la tension entre sécurité et liberté. Un débat aussi ancien que le fichage.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
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Des gendarmes patrouillent dans le centre-ville de Strasbourg (Bas-Rhin), le 12 décembre 2018, au lendemain d'un attentat perpétré aux abords du marché de Noël. (MAXPPP)

Le fichage ne date pas d'hier. On retrouve déjà des tentations au XVIIIe siècle quand on commence à ficher des populations dangereuses ou marginales. On fiche alors les criminels, les mendiants et les errants. Mais c’est surtout fin XIXe que l’on fait d’importants progrès dans le domaine, quand on met les progrès scientifiques, et notamment la photographie, au service de la lutte contre la criminalité.

Le fichage, de l'histoire ancienne

En 1879, Alphonse Bertillon invente l’anthropométrie judiciaire, des fiches sur lesquelles outre les informations habituelles, on trouve une analyse biométrique, les mensurations des individus, et des photographies de face et de profil. C’est ce qu’on appelle le "bertillonnage". L’idée est de constituer un immense fichier qui permettra aux polices d’arrêter plus rapidement les fauteurs de trouble une fois libérées. Mais, et c’est passionnant, dès cette époque, beaucoup s’inquiètent des dérives, en pointant notamment l’atteinte à l’intimité et à la pudeur faite aux personnes que l’on déshabille pour les mesurer. Pourtant le bertillonnage se diffusera énormément et partout dans le monde, et notamment au sein de la police de New York.

De la défense de la République aux crimes de l'État français

En France, la République naissante et fragile constitue de très vastes fichiers qui recensent les criminels mais aussi les opposants politiques, et en premier lieu les anarchistes. Le "casier central" comporte des centaines de milliers de fiches d’étrangers. L’historien Gérard Noiriel montrera à quel point dans ce domaine comme dans tant d’autres, Vichy a puisé dans les pratiques de l’entre-deux-guerres pour mener à bien sa politique mortifère.

Vichy, c’est tout de même un moment particulier. Ici pas de débat entre sécurité et liberté. Le fichage est exclusivement mis au service du contrôle de la population, notamment juive. L’usage qu’en fera le régime pèse d’un poids très important dans le débat actuel sur le fichage.  

L'informatique tend le debat entre sécurité et liberté

Tout commence en 1969 quand le ministère de l’Intérieur décide d’informatiser ses ressources. L’explosion des données ainsi recueillies, leur croisement posent de très importantes questions éthiques sur la liberté individuelle. D’où une loi, Informatique et Liberté votée en 1978 et l’avènement de la CNIL.

Mais dans un contexte de menaces et d’attaques terroristes, la question des libertés individuelles semble secondaire. Voilà d'ailleurs comment Jacques Chirac, nouveau Premier ministre de la France en parle en avril 1986 dans L’Heure de Vérité face à Albert Duroy : "Nous avons des exigences en matière de sécurité et cela passe avant d'autres considérations. Je ne traite avec aucun mépris les inquiétudes, mais nous voulons lutter efficacement contre le terrorisme, la criminalité, et sans porter la moindre atteinte, cela va de soi, aux droits de l'Homme. Est-ce que j'ai la tête de quelqu'un qui veut porter atteinte aux droits de l'Homme ?"

Face aux menaces terroristes, la securité plutôt que les libertés

C’est toujours ainsi. Dans les moments de tensions majeures, le curseur des politiques se déplace de la liberté vers la sécurité, ce qui correspond évidemment à une demande légitime de l’opinion publique. "La sécurité est la première des libertés", entend-on alors régulièrement dans la bouche des responsables politiques. 

Et la loi accompagne cela. Depuis 2004 et le vote de la loi modifiant la loi de janvier 1978, évoquée plus haut, la création de fichiers de sécurité n’est plus soumise qu’à un avis consultatif de la CNIL. En bref, si la CNIL estime qu'un fichier viole les droits et les libertés individuelles, elle ne dispose, en guise de pouvoir de sanction, que de la possibilité d’informer le Premier ministre, lequel sera alors libre de faire cesser ces violations, ou non.

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