Le secret, la fierté, ou la honte ? Les ventes d'armes françaises (1970-2019)
Des armes françaises utilisées vendues à l’Arabie Saoudite et utilisées contre des civils au Yémen, c’est ce que révèle aujourd’hui Disclose, un nouveau média d’investigation, dont la cellule investigation de Radio France est partenaire. Ces révélations contredisent les dénégations de la ministre de la Défense, Florence Parly. et posent à nouveau la question des exportations d’armes françaises au Moyen Orient, un sujet sensible depuis le début des années 1970.
Tout a commencé dans le secret, au moment d'un shift majeur de la politique étrangère de la France, les débuts de ce qu’on appelle la "politique arabe."
Et la politique arabe, elle passe par la vente d’armes aux pays arabes de la région et non plus à Israël victime d’un boycott d’abord préventif puis total en 1968 après l'offensive israélienne sur l'aéroport de Beyrouth.
Le secret
Le premier pays à bénéficier d’un contrat avec la France, c’est la Libye de Kadhafi, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat le 1er septembre 1969 et qui scelle un accord secret avec la France début décembre pour la livraison d’une centaine d’avions de combat Mirage.
L’accord devait être secret, mais il est rendu public par les services secrets israéliens en janvier 1970, ce qui pousse le premier ministre Jacques Chaban-Delmas à s’expliquer. Un premier ministre sur la défensive…
On s'excite beaucoup sur ces mirages pour la Libye. Mais les premières livraisons n'interviendront qu'en 1972, 1973 et en 1974, d'ici là on peut penser que la guerre sera finie
Jacques Chaban Delmas28 janvier 1970
Dans le cas actuel, on ne peut pas utiliser le même argument dans la mesure où selon, la France a continué à livrer des armes à l’Arabie Saoudite engagée dans la guerre du Yémen…
Pour en revenir à la Libye, l’histoire a donné tort à Chaban-Delmas, mais raison aux craintes israéliennes. Non seulement la région ne sera pas en paix en 1973, mais lors de la guerre du Kippour cette année-là, Israël accusera la Libye d’avoir prêté des Mirage achetés à la France à l’Egypte, et pour preuve de ses affirmations, Israël mettra en avant les deux Mirage descendus dans le Sinaï. Une version toujours contestée par la France…
La fierté
A l’issue de cette crise, la question des exportations d’armes françaises ne devient pas particulièrement sensible.
Dans le contexte de la crise économique, les pays arabes qui accumulent des pétrodollars sont un débouché essentiel pour l’économie française qui voit se creuser le déficit commercial.
Les chiffres des exportations d’armes françaises deviennent alors une bonne nouvelle, un cocorico pour les politiques mais aussi les journalistes. Exemple ici dans le Journal Télévisé d’Antenne 2 du 30 janvier 1975:
"La France a réussi à se placer au 3ème rang des marchands d'armes derrière les USA et l'Union soviétique. Toutes les guerillas et les guerres, celles du Moyen Orient en particulier, offrent d'énormes débouchés aux vendeurs d'armes. Arabie Saoudite, Egypte, Afrique du Sud..."
C’est un peu oublié mais la France a été l’un des plus gros vendeurs d’armes au régime d’Apartheid.
Cet état d’esprit essentiellement vénal est justifié à l’époque comme aujourd’hui par un seul et même argument. Retour dans le 20h d’Antenne 2 du 30 janvier 1975:
"Pour justifier ce commerce dangereux et, aux yeux de certains, immoral, le gouvernement français répond: "si nous laissons échapper ces marchés, d'autres, peut-être moins scrupuleux que nous, les prendront à notre place".
La honte?
On peut la dater de la fin de la guerre froide, les espoirs d’une paix mondiale, et la première guerre en Irak qui a montré que vendre des armes à des dictateurs pouvaient être dangereux, le désir d'une moralisation du commerce des armes. France Inter, le 8 juillet 1991, Patrice Bertin:
"Quand uin marchand d'armes rencontre un autre marchand d'armes, de quoi parlent-ils? De morale! Mais si! Officiellement c'est pour moraliser le marché mondial des ventes d'armes que les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU se réunissent aujourd'hui et demain à Paris."
Cela concernait essentiellement les armes non conventionnelles. Pour les armes conventionnelles, comme celles livrées par la France à l’Arabie Saoudite et donc manifestement utilisées au Yémen, il faudra attendre 2013 pour que l’ONU s’accorde sur le « Traité sur le Commerce des Armes » qui contraint le gouvernement français, signataire du traité, à "n’autoriser aucun transfert d’armes" dès lors que celles-ci pourraient servir à commettre "des attaques contre les civils ou des biens de caractère civil (…) ou d’autres crimes de guerre".
On le voit, les révélations de Disclose ne concernent pas seulement la morale, elle concerne aussi le droit international.
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