France 5 alerte sur les dangers des photos d’enfants publiées sur Internet par leurs parents
La réalisatrice Elisa Jadot signe un nouveau documentaire pour France 5 diffusé dimanche 17 septembre 2023 à 20h55. Une enquête mêlée de témoignages sur les dérives et les conséquences parfois dramatiques de l'exposition des enfants sur les réseaux sociaux : Enfants sous influence, surexposés au nom du like.
franceinfo : Lorsqu'on regarde votre documentaire, on voit effectivement les ravages de ce qui peut paraître anodin au départ, on poste des photos, des vidéos de ces enfants. C'est souvent mignon, mais en fait c'est très dangereux. Qu'est-ce qui vous a amené à faire ce documentaire ? Quel a été le point de départ pour vous ?
Élisa Jadot : À l'origine, j'avais déjà fait un premier documentaire sur la dictature du bonheur sur les réseaux sociaux. Ça m'a amenée à plonger dans ce monde particulièrement vaste et j'ai découvert qu'il y avait tout un tas de pratiques qui dépassaient certaines limites, notamment concernant les enfants. Et donc, c'est tout naturellement qu'avec mes productrices, on s'est dit qu'il était important d'aborder ce sujet.
Vous donnez ce chiffre : à 13 ans, un enfant a en moyenne 1300 photos et vidéos de lui postées sur les réseaux sociaux par ses parents. D'où vient cette mode d'exposer ces enfants comme ça ?
Exposer ses enfants, cela a toujours été un peu le cas. On a toujours photographié ses enfants, ça date des smartphones, mais cela vient principalement des États-Unis, de YouTube, avec cette envie de créer un business, notamment sur la vie de famille. Des parents qui publient à peu près tout du matin au soir. Il y a cette espèce de dérive, finalement. Au départ, on publie sa vie de famille de manière tout à fait innocente et puis on en vient à se rendre compte qu'une vidéo dans laquelle un enfant apparaît est vue trois fois plus de fois qu'une vidéo dans laquelle aucun enfant n’apparaît. Donc naturellement, les like attirent les marques, donc il y a cette dérive mercantile qui pousse également certains parents à dépasser les limites et on rentre dans une espèce de surenchère de contenus pour faire le buzz et attirer l'attention, se démarquer.
Vous avez rencontré Cam, une jeune Américaine de 24 ans. Elle est traumatisée par la surexposition que lui a imposée sa maman. Quelles sont les conséquences pour elle aujourd'hui encore ?
Il y a tout un tas de conséquences. Il y a de l'anxiété, un problème de confiance. Elle raconte notamment un moment où sa maman a publié la première fois qu'elle avait ses règles. Elle avait neuf ans, elle était très jeune, donc il y a eu une perte de confiance. Elle s'est sentie trahie par sa maman qui a dévoilé cette information particulièrement intime.
"Il y a tout un tas de problématiques, de conséquences et de dommages liés à la surexposition des enfants sur les réseaux sociaux. Il y a aussi un tas de dérives comme ce qu'on appelle le "kids shaming", c'est-à-dire se moquer de son enfant dans des vidéos."
Élisa Jadot, réalisatriceà franceinfo
Il y a même des challenges comme le "cheese" challenge qui consiste à jeter une tranche de fromage au visage de son tout petit bébé. Donc, l'enfant devient assez facilement sur les réseaux sociaux un objet de divertissement. Et ça fait carrément peur. Comment peut grandir un enfant quand il est chez lui, qu'il est censé être libre et en sécurité ? Il se dira : À tout moment, mon parent peut m'envoyer une tranche de fromage au visage. Cela pose donc un certain nombre de questions sur notre époque.
Vous évoquiez le côté mercantile de certains parents parce qu'ils filment leurs enfants, ils font des placements de produits, donc ils gagnent de l'argent. C'est légal de servir de ces enfants pour ça ?
C'est légal à partir de trois mois. C'est-à-dire qu'avant trois mois, on ne peut pas faire travailler un enfant ou il ne peut pas participer à une communication. Il y a une loi qui est la loi de l'enfant mannequin de 1990 qu'on a tendance à oublier sur les réseaux sociaux. Cette loi s'applique pour les enfants acteurs, pour les enfants qui font des publicités à la télé ou dans des magazines. Et c'est vrai qu'un bon nombre de parents et de marques, il faut le souligner aussi parce que les marques sont aussi responsables de ces dérives, utilisent leurs enfants et l'image de leurs enfants pour promouvoir des produits. En effet, de façon pas tout à fait légale très souvent.
Est-ce qu'on peut dire que c'est de l'exploitation d'enfants parce qu'ils ne donnent pas leur consentement finalement.
C'est une forme d'exploitation d'enfants, oui, tout à fait. Et le consentement... À quel âge d'ailleurs, un enfant peut donner son consentement ? Alors on estime que c'est peut-être autour de 13 ans qui est l'âge légal pour avoir un compte sur les réseaux sociaux. Mais c'est vrai qu'à trois ans, quatre ans, cinq ans, c'est difficile de recueillir le consentement de son enfant. Donc peut-être vaut-il mieux s'abstenir plutôt que de publier des choses que les enfants pourront nous reprocher plus tard parce que c'est aussi ça le sujet, l'enjeu.
Les parents peuvent être condamnés à quelle peine si la loi est appliquée ?
Pour l'instant, on ne sait pas trop, c'est en cours de discussion. Il y a sur la table un projet de loi du droit à l'image des enfants, qui pourrait donner la possibilité au juge des affaires familiales de faire une délégation partielle de l'autorité parentale si un parent abuse de l'image de son enfant.
"Le parent n'est pas détenteur de l'image de son enfant. Il en est le protecteur. Certains parents oublient cela. Ils sont censés protéger l'image de leur enfant pour qu'elle soit vierge de toute réputation jusqu'à ses 18 ans."
Élisa Jadot, réalisatriceà franceinfo
Il y a beaucoup de témoignages dans votre film comme celui d'une influenceuse Jessica Thivenin qui a démarré dans "Les Marseillais" et qui vit désormais à Dubaï. Elle a des millions d'abonnés et filme sa vie, sa famille, ses enfants tout au long de la journée, pour tout et n'importe quoi. Elle ne voit absolument pas le problème malgré vos discussions avec elle, elle ne voit pas le mal.
Elle est dans sa bulle, elle fait ce qu'elle a toujours fait c'est-à-dire partager la vie de ses enfants. En effet, elle ne voit pas le mal. J'avais l'impression qu'elle découvrait certains sujets pour la première fois quand je lui posais certaines questions. Je pense aussi que juger ses parents, ce n'est pas forcément la bonne réaction. L'idée du documentaire est d'informer, d'alerter et qu'on se pose juste la question des conséquences pour les enfants. Je pense que c'est vraiment le message, quelles peuvent être les conséquences ? Et en effet, prendre un petit peu de recul, avoir un peu de réflexion avant de publier une photo de son enfant.
L'autre très grave problème que posent ces posts, c'est que ces photos et vidéos d'enfants sont un terrain de chasse pour les pédophiles.
Tout à fait. On estime qu'au minimum 50% des photos qui s'échangent sur des sites pédopornographiques proviennent des réseaux sociaux et ont été partagées par les parents eux-mêmes au départ. C'est le minimum.
Y compris des photos totalement anodines !
Des photos totalement anodines, totalement innocentes. On s'imagine souvent que c'est la nudité qui attire les prédateurs sexuels. Mais pas seulement. Par exemple, il est avéré qu'un prédateur sexuel adore tout ce qui est vidéo d'enfants qui mangent des fruits parce que ça fait des bruits et qu'ils sont friands de ce genre de contenus. Donc, tout ce qui va être les enfants qui mangent des fruits et les enfants qui sourient peut provoquer des sensations chez les prédateurs sexuels. Et on dévoile dans ce documentaire un site Internet dont on n'avait pas encore entendu parler, qui est un des plus gros sites de points de rencontres pédophiles et un des sites les plus visités au monde. C'est terrifiant.
Retrouvez cette interview en vidéo :
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