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"Le Canard enchaîné", un journal satirique forgé par les enquêtes et les révélations

La candidature de François Fillon à la présidentielle est menacée par les révélations du Canard enchaîné. Cette enquête sur le candidat de la primaire de la droite est loin d'être la première. L'hebdomadaire a bâti sa réputation sur plusieurs "affaires" marquantes pour l'Histoire de la politique française.

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Les éditions du journal Le Canard enchaîné des 25 janvier et 1er février 2017, révélant des informations sur Penelope Fillon. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Aujourd'hui, tous les médias se sont emparés de l'affaire Penelope Fillon. Mais la première "salve" a été lancée par l'hebdomadaire Le Canard enchaîné, mercredi 25 janvier. Avant de nouvelles révélations, mercredi 1er février. Dans sa dernière édition, l'hebdomadaire explique que le salaire qu'aurait touché l'épouse du candidat à la présidentielle était en réalité de 900 000 euros.

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Cette édition du 1er février s'est vendue comme des petits pains, à Paris et dans le reste de la France. De nombreux kiosques sont même en rupture de stock. L'hebdomadaire avait pourtant fourni près de 400 000 exemplaires aux marchands de journaux. Si on y ajoute les abonnements et les ventes à l'étranger, le tirage avoisine les 500 000 exemplaires, contre moins de 350 000 habituellement. Il s'agit donc d'une des meilleures ventes, même si elle reste encore très loin du record historique.

Des révélations en série

Ce record date de 1981, époque beaucoup plus faste pour la presse, et est en effet établi à un million d'exemplaires. Cette année-là, Le Canard enchaîné avait défrayé la chronique, avec ce qui est devenu l'affaire Maurice Papon, alors ministre du Budget. Le journal avait publié des documents signés de sa main, qui posait la question de sa responsabilité dans la déportation de 1 700 juifs de Bordeaux pendant la Seconde guerre mondiale.

Des révélations de cet ordre, il y en a eu beaucoup dans l'histoire du Canard enchaîné. L'une des plus célèbres c'est l'affaire des diamants de Bokassa en 1979, au retentissement énorme. 800 000 exemplaires du journal ont été vendus, et cette affaire a été reprise dans tous les médias, notamment dans le journal télévisé de Roger Gicquel.

Valéry Giscard d'Estaing, à l'époque président de la République, a d'ailleurs été contraint de s'expliquer à la télévision.

Depuis les années 80, Le Canard enchaîné a d'ailleurs souvent bousculé la classe politique, avec, par exemple, le prêt de Pierre Bérégovoy en 1993, les faux électeurs de Jean Tibéri en 1997, les frais de bouche somptuaires du couple Chirac à la mairie de Paris en 2002, les vacances de Michèle Alliot-Marie en Tunisie en pleine révolution en 2011, ou encore les nombreuses révélations autour du logement des personnalités politiques, qui ont visé Jacques Chirac, Jean Tibéri, Hervé Gaymard et Alain Juppé. 

Cette affaire avait été révélée en 1995, et l'actuel maire de Bordeaux avait été contraint de quitter son appartement.

L'affaire Chaban-Delmas, la première affaire Fillon

En janvier 1972, une affaire résonne particulièrement avec ce qui se passe actuellement : l'affaire Chaban-Delmas

Le Canard enchaîné publie alors les déclarations fiscales du très populaire et ambitieux Premier ministre de l'époque, Jacques Chaban-Delmas. Celui-ci se verrait bien endosser le costume du candidat gaulliste pour la prochaine élection présidentielle, afin de succéder au président Georges Pompidou. 

Les déclarations fiscales du Premier ministre révèlent qu'il ne paie que 16 808 francs d'impôts, pour des revenus déclarés de 250 000 francs. En effet, l'indemnité parlementaire est alors quasiment nette d'impôts, les revenus de son mandat de maire et de président du Conseil général sont exonérés, et l'avoir fiscal, créé en 1965 et disparu en 2004, gomme ce qui lui resterait à payer pour ses autres revenus. Il n'y a rien d'illégal dans ces révélations, mais tout cela passe très mal auprès de l'opinion.

Jacques Chaban-Delmas, comme François Fillon, choisit la télévision pour se défendre. Il prend l'opinion publique à témoin et utilise à peu près les mêmes arguments que l'actuel candidat à l'élection présidentielle.

Toutes les attaques menées contre moi (...) ne reposent exactement sur rien, sur rien d'autre que l'intention de nuire, pour me discréditer et me disqualifier. (...) Il s'agit d'une manœuvre politique destinée à empêcher le Premier ministre de poursuivre sa tâche à la tête du gouvernement et de la majorité.

Jacques Chaban-Delmas s'explique au sujet de ses feuilles d'impôts, en 1972

Les années ont passé, mais les arguments de François Fillon sont à peu près identiques. L'idée de "manoeuvre politique" est la même en 2017 qu'en 1972. À l'époque, on cherche aussi qui avait pu être à la base de ces opérations, et on accuse le ministre des Finances, Valérie Giscard d'Estaing, autrement dit, quelqu'un du propre camp de Jacques Chaban-Delmas. Celui-ci est discrédité et disqualifié, il s'effondre dans les enquêtes d'opinions et sera balayé en 1974 lors de la présidentielle.

Une exception dans la presse française

L'histoire de l'affaire Fillon, elle, reste encore à écrire. Le Canard enchaîné multiplie les révélations, dans un contexte pourtant de plus en plus concurrentiel. Les médias sont en effet de plus en plus nombreux, les informations circulent de plus en plus vite.

Ainsi, lorsque Le Canard publie un scoop, les autres médias s'en emparent aussitôt et souvent poursuivent eux-mêmes l'enquête. D'autant que l'hebdomadaire est une exception, puisqu'il n'a pas de site internet, ni de version numérique. Il ne publie rien, ou presque, sur les réseaux sociaux. Il n'y a qu'une seule édition, une fois par semaine, le mercredi. 

Mais cela n'empêche pas le journal d'avoir du poids et de l'influence. Quand un responsable politique veut faire fuiter une information, le réflexe est souvent d'appeler Le Canard enchaîné, qui table sur une indépendance totale : il n'appartient à aucun groupe et il vit sans l'aide de la publicité.

"Le Canard enchaîné", un journal qui s'est forgé une réputation grâce à ses révélations.

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