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Édito
Migrants : Emmanuel Macron face aux limites du "en même temps"

Le bateau "Ocean Viking", avec 234 migrants, s’approche des côtes françaises, où les autorités refusent toujours de dire si le pays va l’accueillir. Cette situation met Emmanuel Macron devant ses propres contradictions.
Article rédigé par Jean-Rémi Baudot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
L'Ocean Viking, affrété par l'ONG SOS Méditerranée, en Sicile le 8 août 2021 (FRANCESCO RUTA / ANSA)

De quel Emmanuel Macron parle-t-on ? Du Macron humaniste, qui lors de la campagne présidentielle de 2017, prévenait : "On ne peut revoir nos valeurs à l’aune des risques du monde" ? Ou du Macron ferme, qui rétorquait un an plus tard : "Il faut se garder des faux bons sentiments" 
 
Emmanuel Macron, depuis des années, navigue dans les eaux troubles du "en même temps" sur la question migratoire, entre humanité et fermeté. Une posture qui se fracasse aujourd’hui contre la réalité. Cela fait cinq ans que le président se drape derrière des formules du type : "Sur l’immigration, on est à la fois inefficace et inhumain." Mais cela, c’est de la théorie politique. La situation de l’Ocean Viking, c'est concret.

L’Italie nous joue un mauvais coup. Le camp Meloni, avec son propre agenda, semble inventer des deals entre Paris et Rome. L'Elysée s’offusque mais la réalité est là : un bateau se dirige vers nos côtes avec des hommes, des femmes et des enfants… On peut entendre que Paris n’apprécie pas que Rome utilise des migrants pour tordre le bras aux règles européennes, c’est un chantage honteux. Mais combien de temps l’Elysée peut réellement assumer ce bras de fer européen ? C'est la question. 

Sur le front intérieur, la peur d'une incompréhension des Français

L'argument de l’exécutif, c’est de ne pas créer un précédent, de ne pas ouvrir un front migratoire maritime. Voilà pour la fermeté. Mais quid de l’humanité ? Peut-on cliver chaque élection en séparant le monde entre d’un côté les libéraux humanistes et de l’autre les populistes xénophobes, sans s’appliquer à soi-même ses propres préceptes 
 
En réalité, c’est la première fois qu’Emmanuel Macron est réellement confronté à une telle situation. En 2018, lors de la crise de l'Aquarius, déjà face à l’Italie, la France avait réussi à contourner le problème : le bateau et ses 629 migrants avaient finalement accosté en Espagne. Aujourd’hui, la peur au sommet de l’Etat est que les Français ne comprennent pas la situation. L'exécutif a pourtant un certain talent pour créer des objets politiques : récemment, l’étonnant duo Darmanin-Dussopt mettait en orbite l’idée de titres de séjour temporaire pour les métiers en tension, provoquant un débat immédiat clivant la classe politique. Cela avait aussi fonctionné après le dérapage raciste du député RN dans l’hémicycle : là encore, l’objet politique était simple, clair, identifié. 
 
Mais dans le cas présent, l’erreur serait de faire de l’Ocean Viking un objet politique : ce sont 234 personnes en détresse. Que risque réellement Emmanuel Macron à tendre la main ? Ne pourrait-il pas même en tirer un bénéfice politique ? À moins que le glissement progressif de sa majorité vers la droite ne l’empêche de déplacer le curseur, quand c’est nécessaire, de la fermeté à l’humanité. Ce qui signerait la fin du "en même temps".

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