L'info de l'histoire : l’antisémitisme, une histoire française

L'actualité remise en perspective chaque samedi, grâce à l'historien Fabrice d'Almeida. Samedi 11 novembre : l'antisémitisme, une histoire française
Article rédigé par Fabrice d'Almeida
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Tag antisémite sur le mur du stade Mazet à Carcassonne le 8 octobre 2023 (NATHALIE AMEN VALS / MAXPPP)

C’est une idée émise par le grand sociologue, Edgar Morin, 102 ans. En 1969, il venait de finir son travail sur la Rumeur d’Orléans, une grave calomnie contre des marchands juifs accusés à tort d’enlever des jeunes filles et de les envoyer ensuite à l’étranger dans la "traite des blanches." Lors d’une interview après la sortie d’un livre sur ce phénomène, il avait dit ceci : "Le fantôme du juif, qui dans le monde chrétien occidental est celui qui fixe l’angoisse et qui prend en charge la culpabilité, et que finalement on va sacrifier comme bouc émissaire, commence à sortir des profondeurs où on le croyait à jamais enfoui." Pour Edgar Morin, notre monde moderne était technique, scientifique mais nos cerveaux avaient encore des manières de penser médiévales. Nous vivions dans un "Moyen Âge moderne". L’antijudaïsme travaillait notre société depuis longtemps.

De fait, tout un pan de la pensée française s'est, en effet, organisé autour de cette question de la discrimination des juifs. Au XIXe siècle, c'est même en France que l'on a fait de l'antisémitisme un moteur en politique, avec le racisme pour croyance. Ce sont des penseurs totalement oubliés comme Arthur de Gobineau qui est l’auteur de L'Essai sur l'inégalité des races humaines, publié en 1853, qui en ont fait une doctrine partisane. Gobineau a été le premier à affirmer que les races se sont transposées dans la culture au-delà de la question biologique. Il a inspiré tout le courant antisémite autour de l'affaire Dreyfus, cet officier juif accusé de haute trahison au profit de l'Allemagne alors qu'il était innocent. Injustement condamné sur la base d'un faux, et sans que les pièces de l'accusation ne soient transmises à la défense. L’antisémite Charles Maurras disait qu'il fallait condamner Dreyfus pour ne pas donner tort à l'armée française, par nationalisme.

L'antisémitisme de Vichy

C'est cette mouvance qui va pouvoir mettre sa haine des juifs à l'œuvre à la faveur de la défaite de 1940 et de l'accession au pouvoir du maréchal Pétain. Maurras parle alors de "divine surprise". Celle de voir enfin un gouvernement qui embrasse leurs croyances. L’antisémitisme de Vichy reposait sur l’idée que les Juifs étaient incapables de s’insérer dans la nation. On s’en rend compte en écoutant, par exemple, les chroniques de Radio Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette politique a disparu en 1945, mais elle est restée dans la tête de groupement d'anciens militants Vichyste ou pro-nazis. Elle était encore présente au sein du Front national dans les années 1980, 1990.

Aujourd’hui, un antisémitisme islamiste chemine avec cet héritage lointain et en reprend certains arguments. En fait, comme le disait Edgar Morin, on croit toujours que l'antisémitisme s'arrête et qu’il va disparaître sous le poids de ses contradictions et de sa dimension délirante. Mais il revient toujours. Et cela demande à chaque génération un travail sur elle-même pour passer outre. C'est là où nous en sommes aujourd'hui.

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