Agriculture : "Nous devons revenir sur l'alimentation cœur de gamme qui est aujourd'hui importée", selon le président de La Coopération agricole
Que retiendra-t-on de cette 60e édition du Salon de l'agriculture, qui s'est achevée dimanche 3 mars, porte de Versailles, à Paris ? La question est posée ce soir au président de la Coopération agricole, Dominique Chargé. Faut-il retenir les actions répétées des agriculteurs qui ont perturbé cette édition, ou au contraire était-ce une bonne occasion d'aller au-delà des caricatures pour enfin appréhender les vrais problèmes des agriculteurs ?
Dominique Chargé : On nous avait dit que ce ne serait pas une édition comme les autres, ça s'est vérifié. Effectivement, dans sa première partie, c'était une édition mouvementée, chahutée, on peut même dire. En même temps, je pense qu'il faut que ça reste un moment privilégié de communication avec le public, parce que c'est aussi la fête de l'agriculture, dans cette semaine de salon. La fréquentation a connu une baisse de 2%. Donc on ne peut pas dire qu'il y a eu une incidence forte sur la fréquentation. En revanche, ça a été aussi une édition marquée par la colère qui s'était fait jour avant le Salon de l'agriculture. Et donc ça a été une formidable caisse de résonance, qui a permis de mettre en évidence ce qu'était aujourd'hui le malaise des agriculteurs, ce qu'étaient les problèmes qu'ils rencontraient dans l'exercice de leur métier.
"Derrière les problèmes de compétitivité et les problèmes de revenus, les agriculteurs ont posé des questions qui vont plus loin que ces problèmes immédiats qu'ils rencontrent."
Dominique Chargéà franceinfo
Ils posent des questions pour savoir quelle trajectoire et quelles perspectives on leur donne pour l'agriculture et pour l'alimentation.
Beaucoup de questions ont été soulevées ces dernières semaines, beaucoup d'idées aussi ont été lancées par le gouvernement. Quelles sont les idées qui sont les plus importantes selon vous ?
Dans les avancées qui ont été faites, il y a d'abord celle d'inscrire la souveraineté alimentaire comme un marqueur fort de notre nation, de mettre l'agriculture au-dessus de tout, comme étant quelque chose d'indispensable à la nation. L'inscrire dans cette loi d'orientation, pour nous, c'est un marqueur très fort parce que ça nous permet de mettre en avant le fait que produire pour nourrir est quelque chose d'indispensable, sur lequel il faut que nous soyons en capacité de retrouver des positions que nous avons perdu depuis une vingtaine d'années.
Et ce ne sont pas que des mots ?
Ça ne doit pas rester que des mots.
"Entre la souveraineté alimentaire et les transitions écologiques, nous devons avancer au rythme des solutions, qui nous permettent de ne pas compromettre les actes de production."
Dominique Chargéà franceinfo
C'est aujourd'hui les interrogations qu'ont les agriculteurs. Et puis, c'est évidemment, derrière tout ça, la compétitivité de nos métiers. Comment est-ce que nous sommes rentables ? Comment produire une alimentation de qualité et accessible pour les consommateurs ? Et bien sûr, derrière, le renouvellement des générations, qui est aussi le marqueur fort que nous attendons dans la loi d'orientation.
Comment être compétitifs tout en proposant des prix qui soient acceptables par le consommateur ? L'idée a été lancée de mettre en place des prix plancher. Une nouvelle loi Egalim aussi. Que faut-il faire selon vous ?
On a entendu cette annonce du président de la République, qui veut impulser une dynamique pour construire des prix beaucoup plus en phase avec les coûts de production des exploitations.
Vous-même, qui représentez à la fois les producteurs et les industriels, c'est le cœur de votre métier.
C'est le modèle économique privilégié des coopératives agricoles : être en capacité d'organiser la production. Donc c'est une de nos mesures très fortes des 50 propositions que nous avons faites : moins de complexité pour plus de compétitivité, et organiser les productions.
Idéalement, à quoi devrait ressembler la loi Egalim 4, selon vous ?
Egalim poursuit cet objectif depuis sa création en 2018. C'est-à-dire comment mieux faire en sorte d'avoir une rémunération, une valeur de l'alimentation et surtout de la production agricole, qui permette aux agriculteurs de vivre de leur métier ? On a vu que les premières lois Egalim ne répondaient que partiellement. En tout cas pour quelques productions, ce n'était pas satisfaisant. Mais au-delà d'Egalim, l'important est que nous ayons de la visibilité. Ce que nous pensons, nous, c'est que nous avons perdu des positions aujourd'hui sur un certain nombre de marchés. Nous voyons les consommateurs qui ont massivement abandonné quelque part l'alimentation bio et l'alimentation sous signe de qualité, pour se déporter sur une alimentation qui était beaucoup plus entrée de gamme et cœur de gamme.
"Dans cette situation de crise, les consommateurs se sont reportés sur une alimentation importée, parce que nous ne sommes plus présents sur les segments de l'alimentation entrée et coeur de gamme."
Dominique Chargéà franceinfo
Donc ce que nous souhaitons, c'est pouvoir revenir avec une alimentation de qualité, qui répond à un cahier des charges, et pouvoir revenir aussi sur cette alimentation cœur de gamme que nous avons trop abandonnée depuis une vingtaine d'années.
Donc pour vous, l'agriculture française ne répond pas forcément aux besoins des consommateurs en termes de prix ?
Absolument. Nous avons probablement trop interprété la montée en gamme comme étant exclusivement réservée à une alimentation et une production haut de gamme. Et on voit aujourd'hui que nous avons complètement décroché et que nous sommes complètement déclassés sur ces entrées de gamme et ces cœurs de gamme, qui correspondent néanmoins à une part d'alimentation importante sur les MDD (marque de distributeurs) et surtout en restauration hors domicile. Nous ne sommes plus assez présents aujourd'hui sur les cantines, la restauration que l'on prend tous les jours dans les gares et qui correspond à une part importante de notre alimentation. Pour cette alimentation-là, nous consommons majoritairement des produits importés.
"Les braises restent chaudes", a affirmé Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. Il prévient qu'il y aura encore des actions sur le terrain. Etes-vous sur la même ligne ?
Je note que les réponses apportées sont pour l'instant partielles. Elles demandent à être précisées, à être inscrites aussi dans des actes législatifs et dans des actes politiques forts. Pour l'instant, les agriculteurs sont dans l'incapacité de voir quoi que ce soit de concret dans leurs exploitations. Et puis, ce qui a aussi été un élément fort du Salon, c'est le fait que nous soyons en campagne électorale pour les élections européennes alors que l'Europe a une incidence massive aussi sur nos activités. On voit aujourd'hui des problèmes de distorsion de concurrence, comme j'en parlais à l'instant sur les produits importés.
Le fait que les actions se poursuivent, c'est notamment pour obtenir de l'Europe plus de protection et plus de garanties sur le fait que nous ne serons pas en situation de distorsion de concurrence aux bornes de l'Europe. Mais également pour nous en France : il faut obtenir une homogénéité, une harmonisation plus forte de la façon dont sont transférées les règles européennes dans les droits européens. Ces règles ne doivent pas créer de distorsion de concurrence à l'intérieur de l'Europe. Parfois, les surtranspositions qui sont faites pour les agriculteurs français, entraînent des distorsions de concurrence sur un certain nombre de productions. C'est le cas sur des fruits et légumes, le sucre et, on le voit aujourd'hui, sur la volaille.
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