Dette publique : "Les agences de notation font très attention au climat politique", avertit le président de Fipeco
"Les agences de notation font très attention au climat politique. Parce qu'en fait, le problème de la dette publique, c'est assez largement un problème de confiance", analyse, vendredi 29 novembre, François Ecalle, président de Fipeco, un site d'information sur les finances publiques. Après les avertissements de Moody's et Fitch, l'agence de notation S&P dévoile vendredi dans la soirée sa nouvelle évaluation de la dette souveraine de la France, dont le gouvernement joue sa survie au prix de concessions sur le budget pour 2025.
La décision de S&P Global Ratings survient alors que le gouvernement français multiplie les compromis pour tenter d'échapper à une motion de censure, qui pourrait intervenir dès le 2 décembre sur le budget de la Sécurité sociale et plonger, estime l'exécutif, la France dans une "tempête" économique et financière.
franceinfo : Quand une agence de notation prend sa décision et évalue la dette d'un pays, elle observe attentivement ce qu'il s'y passe, là, ce qu'elle voit ne va pas lui plaire ?
François Ecalle : Je pense que ça va l'inquiéter. Mas en effet, je n'ai pas plus de boule de cristal que vous et je ne sais pas ce qu'ils vont dire. Le plus probable est qu'il ne dégrade pas la note de la France, mais qu'ils disent qu'ils risquent de le faire la prochaine fois. Techniquement, cela veut dire que nous-mêmes, nous avons une perspective négative.
Il y a trois options. Soit la note reste stable, soit elle n'est pas dégradée effectivement, mais avec une perspective négative, soit elle est dégradée. Qu'est-ce qui vous laisse penser ça ?
Les agences de notation font très attention au climat politique. Parce que, en fait, le problème de la dette publique, c'est assez largement un problème de confiance.
"Un État, comme une entreprise, n'a pas de problème s'il arrive à expliquer à ses créanciers que tout va bien, que tout est sous contrôle, etc. C'est un peu plus difficile en ce moment d'avoir ce genre de discours."
François Ecalle, président de Fipecosur franceinfo
Donc les créanciers peuvent s'inquiéter et les agences de notation peuvent s'inquiéter aussi. Je pense en effet que ce sera une perspective négative. Ça ne changera rien parce que les marchés des marchés s'inquiètent déjà depuis quelques jours, les taux d'intérêt montent. Là où ça va changer, c'est sans doute la prochaine fois. Parce que si en effet, ils nous dégradent, eux comme les autres agences, on va tomber dans une autre catégorie de notation et là, on aura un simple A au lieu d'avoir un AA. Et là, c'est plus embêtant parce que beaucoup de gestionnaires de portefeuille ou des banques doivent avoir des obligations d'État justement notées AA. Alors si c'est seulement A, ils risquent d'en acheter moins. Donc, la prochaine fois, ça peut avoir un effet assez important sur les taux d'intérêt.
Michel Barnier met en garde contre la tempête que déclencherait une chute du gouvernement, notamment sur les marchés. Est-ce qu'il a raison d'utiliser ce terme ?
Une tempête, je ne sais pas, mais il y a un risque en tout cas. Le risque est le suivant : si les marchés aujourd'hui sont relativement calmes, les taux d'intérêt ont monté quand même, mais pas beaucoup, c'est parce qu'ils pensent que la Banque centrale européenne sera toujours là pour soutenir la France en cas de difficultés. Mais ce qu'ils oublient, ils pourraient s'en rappeler brutalement, c'est que la BCE ne peut intervenir normalement que si le pays en question respecte les règles budgétaires européennes. Là, on fait semblant de les respecter.
Il y a un plan qui a été présenté pour dire que nous allons revenir dans les clous, c'est-à-dire à 3% de déficit en 2029...
On donne l'impression de faire des efforts. La Commission européenne a validé notre programme de finances publiques, donc de ce côté-là, ça va. Mais il faut aussi que la dette publique du pays soit sous contrôle de la BCE, qui peut intervenir si c'est vraiment de la spéculation. Mais si on a vraiment un problème fondamental de dette publique non soutenable, la BCE, normalement, ne peut pas intervenir. Mais je pense qu'avec un gouvernement comme celui de Michel Barnier, elle interviendra toujours. En revanche, ce que les marchés peuvent se dire, c'est qu'avec un gouvernement qui dit : "je mets au panier les règles budgétaires européennes, je ne veux plus en entendre parler" et qui annonce des mesures, que dans le reste de l'Europe, on trouvera assez délirantes du point de vue des finances publiques, les marchés se diront que la BCE ne peut pas intervenir dans ces conditions. En tout cas, elle va hésiter. Même si la France est "too big to fail" [trop gros pour tomber], elle va hésiter et à ce moment-là, on risque d'avoir une crise.
Quand le budget a été présenté, il y avait 60 milliards d'euros d'efforts prévus. Que reste-t-il aujourd'hui ?
D'abord, le Haut Conseil des finances publiques dit que ce ne sont pas 60 milliards d'euros mais 42 milliards. Moi, je pense que c'étaient plutôt 42 milliards, ce qui est déjà beaucoup. Après, j'ai renoncé à suivre ce qui se passe au Parlement. Ça part dans tous les sens. J'ai quand même nettement l'impression que ça va dans le sens d'une réduction de ces efforts. C'est-à-dire que même si on est à 42 milliards, là, on commence à descendre nettement en dessous de 42 milliards parce qu'on remet en cause des mesures relativement importantes.
"On a remis en cause ce qui avait été projeté sur les retraites, sur les efforts demandés aux collectivités locales, sur les allégements de cotisations des entreprises. Dans les 42 ou 60 milliards, c'étaient des gros morceaux sur lesquels on est revenu en arrière, totalement ou partiellement."
François Ecalle, président de Fipecosur franceinfo
Est-ce que, spécifiquement en France, c'est politiquement très complexe de toucher à la dépense publique ?
On a une particularité en France qui fait qu'on a le record en matière de dépenses publiques, en pourcentage du PIB, qui ne date pas d'hier. Si vous relisez Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, vous verrez que déjà sous l'Ancien Régime, les Français demandaient plus d'aide au roi et ils voulaient payer moins d'impôts. C'était déjà la même histoire. Donc je pense que c'est très ancien. Ça a été aggravé par le "quoi qu'il en coûte". Même si le "quoi qu'il en coûte" était nécessaire, ça donne l'impression que les milliards peuvent couler à flots et qu'on peut toujours les trouver.
L'ancien ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, disait le "quoi qu'il en coûte, c'est fini". Est-ce qu'on arrive à en sortir ?
On en est largement sortis, au sens où les mesures exceptionnelles qui avaient été prises pendant la crise sanitaire et puis après, même pendant la hausse des prix de l'énergie, ces mesures ont quasiment disparu. En revanche, là où on a vraiment du mal à en sortir, c'est psychologiquement. C'est-à-dire que ça a effectivement donné l'impression qu'il suffisait de demander des milliards pour trouver des milliards et donc pourquoi s'arrêter ? Donc on n'a pas compris en effet que ça ne pouvait être que des mesures temporaires. Et donc, c'est ça le problème, je pense.
Concrètement, s'il n'y a pas de budget au 31 décembre 2024, que se passe-t-il ?
Il faut bien avoir en tête que dans une loi de finances, le Parlement vote des crédits limitatifs. C'est une autorisation de dépenser limitative. Et s'il n'y a pas de budget, il n'y a pas d'autorisation. Donc, normalement, les comptables publics arrêtent de payer. Donc, c'est le "shutdown" à l'américaine. Sauf que la Constitution prévoit que si le gouvernement voit qu'il n'y aura pas de budget avant la fin de l'année, il demande au Parlement une loi spéciale l'autorisant à lever les impôts et à ouvrir des crédits à hauteur du dernier budget voté, c'est-à-dire celui de 2024. Ça ne changera pas grand-chose. Parce que, finalement, le projet de loi de finances de Michel Barnier, c'est quasiment la même chose en termes de volume total de dépenses que la loi de finances de 2024. En revanche, sur les recettes, ça va changer beaucoup de choses. Parce que cette autorisation à lever l'impôt, c'est à le lever dans les conditions précédentes. Ça veut dire que, par exemple, l'impôt sur le revenu, son barème, ne va pas être indexé.
Et ça a des conséquences très concrètes pour les contribuables ?
Ça aura des conséquences très concrètes. Ça va permettre à l'État de gagner 3 à 4 milliards. Pour ceux qui paient l'impôt sur le revenu, ça veut dire plus d'impôts sur le revenu. Ou pour ceux qui étaient juste à la limite d'être imposés, ça veut dire qu'ils seront peut-être imposés. Mais d'un autre côté, ça veut dire aussi que toutes les mesures fiscales nouvelles, comme la hausse du taux de l'impôt sur les sociétés ou la hausse des impôts sur les plus riches, seront abandonnées. Donc, du point de vue des finances publiques, ça veut dire en fait beaucoup de recettes en moins, parce que les 3 ou 4 milliards d'impôts sur le revenu en plus, ça ne compensera pas les 10 à 15 milliards de recettes qu'on va abandonner.
Politiquement, ce serait pour le moins sensible si des ménages rentrent soudainement dans le barème de l'impôt sur le revenu et si d'autres en paient plus ?
D'un autre côté, il faut voir qu'on doit voter une loi de financement de la Sécurité sociale. Là, le problème est un peu différent, parce que dans les lois de financement, les dépenses ont des objectifs. Donc les caisses de retraite vont continuer. Même s'il n'y a pas de loi de financement, les caisses de retraite continueront à verser les pensions, mais dans les conditions prévues par le Code de la sécurité sociale. Et ce qui est prévu, c'est une indexation totale au 1er janvier sur l'inflation. Donc, pour les retraités, c'est une bonne nouvelle. En revanche, pour ceux qui payent l'impôt sur le revenu, c'est une mauvaise nouvelle. Et pour les entreprises, c'est une bonne nouvelle aussi, puisqu'elles n'auront pas tous ces nouveaux impôts à payer. Mais pour les finances publiques, c'est une mauvaise nouvelle.
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