"Il faut identifier la fraude pour mieux la combattre", selon Pascal Saint-Amans, membre du Conseil d'évaluation des fraudes

Pascal Saint-Amans, économiste, ancien directeur du Centre des politiques fiscales de l'OCDE a été nommé membre du tout nouveau Conseil d'évaluation des fraudes mis en place par Bercy. Il est l'invité éco de franceinfo mardi 10 octobre 2023.
Article rédigé par franceinfo, Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Pascal Saint-Amans, économiste, ancien directeur du Centre des politiques fiscales de l'OCDE. (franceinfo)

Mardi 10 octobre, à l'heure où l'Assemblée nationale commence à examiner le budget de l'État en commission, où chaque euro compte, le ministère de l'Économie se penche sur la fraude et tente de l'évaluer.

franceinfo : Pascal Saint-Amans, vous êtes économiste, il y a quelques mois encore, vous dirigiez le centre de politiques fiscales de l'OCDE. Bercy a donc mis en place aujourd'hui un Conseil de l'évaluation des fraudes, auquel vous participez. Fraude sociale, fraude fiscale, qu'il s'agit d'évaluer, de quantifier. On ne sait donc pas du tout combien la fraude coûte aux caisses de l'État, ça semble incroyable...

Pascal Saint-Amans : Oui, ça semble incroyable et en même temps, c'est logique parce que la fraude, c'est ce qu'on ne connaît pas. Comment peut-on évaluer de façon précise ce que l'on ne connaît pas ? Donc on a un vrai challenge.

"On sait qu'il y a de la fraude, mais on ne sait pas mettre un montant dessus."

Pascal Saint-Amans

à franceinfo

Plusieurs pays font des tentatives, mais ça nécessite de définir ce qu'est la fraude. Il y a de d'argent qui ne rentre pas, parce qu'il y a des gens qui intentionnellement ne payent pas leurs impôts. Vous avez aussi des gens qui font des erreurs involontaires. Ce n'est pas de la fraude mais l'impôt ne rentre pas pour autant. Et vous avez des trous dans la législation. On pense que l'argent devrait rentrer concernant les entreprises. Mais en fait, il y a des trous, des niches fiscales, et donc on peut se dire que ces niches fiscales devraient être comblées. Est-ce de la fraude ? Non plus. Donc dans cet agrégat, il y a différents éléments qu'il faut distinguer. C'est une tâche assez compliquée et le gouvernement français a décidé de s'attaquer à ce travail.

Vous allez donc définir la fraude pour ensuite l'évaluer. Vous dites que ce n'est pas un mal français, finalement tous les pays se retrouvent face à la même situation ?

Tous les pays sont confrontés à la fraude et cherchent à mettre un chiffre dessus. Plusieurs pays le font : les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Italie aussi, par exemple. Ils ne sont pas très nombreux et ce chiffre, en fait, couvre un peu toutes les différentes catégories que j'ai indiquées. Mais la France a l'intention d'essayer de quantifier plus précisément ce qui relève vraiment de la fraude, c'est-à-dire de l'intention de ne pas payer ses impôts.

Le syndicat des impôts Solidaires finances publiques estime la fraude entre 80 et 100 milliards d'euros par an. Est-ce que ce chiffre astronomique semble plausible, ou est-ce qu'il est trop tôt pour répondre ?

On peut lancer un chiffre, mais en fait on ne sait pas. L'objectif de cet observatoire, de ce conseil, est d'essayer d'arriver avec des méthodes un peu rationnelles qui recoupent des approches macroéconomiques. On regarde les grands agrégats économiques du pays, on fait des hypothèses, on se dit "ça doit être à peu près de ce montant-là", pour la TVA, par exemple...

Qu'est-ce qui coûte le plus cher à l'État ? Est-ce la fraude pratiquée par les entreprises, par les particuliers ? Est-ce qu'on le sait ?

La première chose qu'on sait, c'est combien rapportent les différents impôts. L'impôt qui rapporte le plus en France aujourd'hui, c'est la TVA. Donc c'est celui qui est le plus susceptible de donner lieu à de la fraude et à du manque à gagner. Le manque à gagner pour la TVA, plusieurs études sont plutôt convergentes, se situerait entre 20 et 25 milliards d'euros par an. C'est un ordre de grandeur qui se retrouve dans de nombreuses études, mais qui recoupe des réalités différentes. Vous avez des schémas qu'on appelle des "carrousels de TVA".

"Vous facturez entre le Luxembourg, l'Italie, la France... Et puis de la TVA s'évapore. Ça, c'est de la fraude organisée, c'est de la criminalité, ça coûte des milliards. On a beaucoup lutté contre ça, il en reste quelques-unes."

Pascal Saint-Amans

à franceinfo

Et puis vous avez une autre fraude à la TVA, quand on se dit "je ne déclare pas une transaction, je paye mon plombier sous le manteau avec du cash sans déclarer". Donc vous avez tous ces volumes, en plus de l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et des cotisations sociales. L'observatoire est à la fois sur la fraude fiscale et la fraude sociale. Les fraudes sociales sont peut-être moindres en terme de volume, mais elles sont plus choquantes pour les gens, parce qu'elles renvoient davantage aux inégalités.

Vous pensez qu'il faut évaluer la fraude pour qu'il y ait une adhésion à l'impôt, un consentement à l'impôt ?

Tout à fait. Mettre un chiffre n'a pas beaucoup d'intérêt en soi. Ce qui compte, c'est identifier ce qu'est la fraude pour mieux la combattre et pour la réduire. Parce que quand il y a de la fraude, en fait, c'est ceux qui sont honnêtes, qui payent pour les autres.

"Réduire la fraude, c'est accroître l'égalité devant l'impôt et la justice fiscale."

Pascal Saint-Amans

à franceinfo

Des choses ont été mises en place, notamment pour lutter contre l'évasion fiscale. Il existe aujourd'hui une sorte de cellule de dégrisement à Bercy, pour les repentis, il y a aussi l'échange automatique de données bancaires. Tout ça sert participe à freiner l'évasion fiscale ?

Absolument, ça n'a pas encore complètement percuté dans la population, mais en 2008, avec la crise financière mondiale, le G20, les plus grands pays du monde, avec l'OCDE dont j'étais en charge à l'époque, ont mis fin au secret bancaire.

"Il n'y a plus de secret bancaire en Suisse, aux Caïmans, aux Bahamas et dans d'autres pays."

Pascal Saint-Amans

à franceinfo

Les riches ne peuvent plus cacher leur argent dans des comptes bancaires à l'étranger et ne pas déclarer leurs revenus. Aujourd'hui, ces revenus sont déclarés, soit par les personnes elles-mêmes, soit par les administrations fiscales des autres pays. La Suisse a envoyé l'an dernier plus de 3 millions de comptes bancaires à 90 partenaires. La France a reçu sans doute des centaines de milliers de comptes bancaires. On a donc maintenant une sorte de lampe torche pour éclairer une zone qui était totalement obscure, où on ne savait pas ce qui se passait. Si ça va mieux de ce côté-là, il faut le quantifier et c'est une des tâches à laquelle on veut s'attaquer dans ce groupe.

Quand vous étiez à la tête de la politique fiscale de l'OCDE, vous avez été un des artisans de la mise en place d'un impôt minimum mondial de 15 % sur les multinationales. Quelle est la réalité de cette taxe aujourd'hui ?

"Le 1er janvier 2024, toutes les multinationales dans le monde seront assujetties à un impôt minimum de 15 % sur leurs revenus."

Pascal Saint-Amans

à franceinfo

En France, elles payent davantage. Mais quand les entreprises françaises mettaient des profits dans des paradis fiscaux taxés à moins de 15%, la France ne récupérait pas la différence. Demain, au 1er janvier 2024, la France prendra la différence.

Mais les États-Unis ne vont pas appliquer cette taxe à 15% ?

C'est pour cela qu'on a conçu cet impôt minimum mondial d'une façon un peu diabolique. Même si des pays aussi grands que les États-Unis ou la Chine n'ont pas ratifié cette taxe et ne l'appliqueront pas chez eux, ce ne sera pas le cas pour les entreprises américaines ou chinoises qui se trouvent dans les pays qui l'appliquent. Tous les pays d'Europe vont l'appliquer, ainsi que le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, les pays du G7 - à part les États-Unis - et un grand nombre de pays en voie de développement. Donc, il y aura un impôt minimum de 15% sur les multinationales à partir du 1er janvier 2024.

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