"La France est depuis très longtemps un producteur de talents", d'après le chercheur émérite associé à l’INSEAD Bruno Lanvin
Les résultats de l’Indice mondial de compétitivité en matière de talents en 2023 ont été publiés, mardi 7 novembre. Cet indice, qui existe depuis 10 ans, s'intéresse à l'attractivité des pays en matière de talents. Il indique où les profils les plus recherchés travaillent et ce qui les motive.
Bruno Lanvin, chercheur émérite associé à l'Institut européen d'administration des affaires (INSEAD) - une école privée de management - et fondateur de l'institut Descartes pour le futur. Il est à l’origine de cet Indice mondial de compétitivité. Il était l'invité éco de franceinfo à l'occasion de la parution des résultats de cette année.
franceinfo : Quel est le podium, le top trois des pays où il fait bon vivre et travailler quand on est un profil recherché par les entreprises ?
Bruno Lanvin : L'indice mondial des talents est un indice composite qui ne mesure pas seulement la qualité de vie, mais c'est un facteur important. Et le top trois cette année, c'est dans l'ordre la Suisse, Singapour et les États-Unis.
Pourquoi est ce que les talents choisissent et élisent ces trois pays ?
Pour des raisons diverses. Commençons par les États-Unis, par exemple. C'est une grande économie. C'est le pays qui accueille les universités les plus prestigieuses dans un grand nombre de domaines. Donc, il y a déjà une tradition pour les talents d'aller se former aux États-Unis. C'est en plus le lieu où, si on veut créer une start-up, des lieux comme Silicon Valley ont quasiment une valeur mythique et qui ont toujours attiré les talents des pays plus petits comme Singapour et la Suisse. Les motivations sont différentes : la qualité de vie, mais aussi la capacité d'acquérir de nouvelles connaissances, de bénéficier d'opportunités de carrière sont ce qui guide principalement ces talents.
Ce palmarès existe depuis dix ans. Est-ce qu'il a évolué depuis dix ans ?
C'est un indice que j'ai créé et qui tourne autour de trois composantes principales en matière de talents : la capacité de créer des talents, la capacité d'attirer des talents et la capacité de garder les talents. Et autour de ces trois mesures, on a un certain nombre de hiérarchies qui s'établissent, qu'on voit se dessiner. Le modèle s'est stabilisé très vite. Au bout de la troisième année, il n'a pratiquement plus bougé. Ce qui est plus particulier, en ce qui concerne cet indice, c'est que le top dix et le top 20 n'ont eux aussi pratiquement pas bougé.
Est-ce qu'il y a un avant et un après covid ?
Oui, et à plus d'un égard. D'abord, le Covid a été le lieu d'une accélération d'un certain nombre de comportements qui avaient déjà commencé à changer. Alors, bien sûr, on pense au travail en ligne, à la collaboration à travers les réseaux, les téléconférences, et cetera. Mais au-delà de ça, le covid a aussi installé comme une nouvelle norme les nouvelles conceptions du travail. Pour les jeunes générations, par exemple, le fait de travailler simultanément pour plusieurs employeurs, de travailler avec des horaires flexibles, dans des géographies différentes, parce que la communication en ligne permet de contribuer à un projet à Dubaï en même temps qu'un autre au Canada, même si on est à Paris. Tous ces comportements-là existaient d'une certaine façon et ils se sont généralisés avec le Covid.
Est-ce que ça a changé le classement des pays ? Est-ce qu'il y a des facteurs qui aujourd'hui sont plus importants qu'il y a quelques années ?
Deux éléments au moins sont intervenus comme particulièrement discriminants en termes d'attractivité des talents. Le premier, c'est l'infrastructure des télécommunications et des échanges de données. Les pays qui disposent d'une bande passante suffisamment large et économique en termes de coûts ont subitement un avantage supplémentaire par rapport aux autres. La France, de ce point de vue là, est bien classée. Le deuxième élément c'est la qualité de vie, c’est-à-dire à partir du moment où l'on peut contribuer à un projet, qu'on soit en Norvège, en Afrique du Sud ou au Canada. La qualité de vie devient un élément important.
Où se situe la France dans ce classement ? Je rappelle que vous passez au crible 134 pays.
134 pays cette année. La France, il y a trois ans, a fait son entrée dans le top 20 du classement. Auparavant, elle naviguait entre la 20ᵉ et la 25ᵉ place, ce qui était tout à fait honorable. Mais le top 20 a toujours été considéré, dans l'indice, comme la crème de la crème. Et lorsqu'elle a fait son entrée, nous avons passé beaucoup de temps à expliquer aux médias et aux analystes qu'il fallait deux ou trois ans pour voir si ce classement était confirmé. Les trois dernières années, la France est restée parmi le top 20.
Quels sont les atouts de la France ?
Les atouts de la France sont principalement dans le facteur production des talents. La France est et a été depuis très longtemps un producteur de talents. C'est dû à la qualification, à la qualité du système d'éducation. C'est du aussi à un accroissement de la performance de la France en termes de formation permanente. Donc, c'est quelque chose qu'on voit beaucoup dans les entreprises qui paient pour envoyer leurs cadres, leurs étoiles montantes, acquérir des capacités supplémentaires.
Pour les points faibles de la France, on parle souvent de la fiscalité et des mouvements sociaux. Est-ce que c'est un cliché, un repoussoir réel ou un fantasme ?
C'est un élément qui est subjectif, mais on ne doit pas négliger le subjectif. En économie, il a clairement un impact. Les talents souhaitent travailler dans un pays où la sécurité soit garantie, où la prévisibilité du système fiscal soit aussi un élément de leur environnement. Et là encore, la France a des progrès à faire.
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