Salaires : le futur gouvernement va devoir "modifier les systèmes d'exonération et augmenter le salaire minimum", estime un économiste
"La question des salaires sera la grande question sociale des 25 prochaines années", a déclaré Bruno Le Maire, le ministre démissionaire de l'Économie, jeudi 12 septembre dans un discours de remerciements à Bercy. L'inflation était à 1,8% en août sur un an et il n'y aura pas de revalorisation automatique du smic en octobre. Une telle revalorisation, d'ailleurs, apparaît "très incertaine" d'ici la fin de l'année, écrit l'Insee. Mais le gouvernement peut toujours s'en mêler. Et selon Philippe Askénazy, économiste du travail et de l'innovation, directeur de recherche au CNRS et membre du Haut conseil des rémunérations, de l'emploi et de la productivité, il y a "une pression pour une augmentation salariale aujourd'hui" et que le statu quo va être difficile à tenir pour le futur gouvernement.
franceinfo : Le gouvernement doit-il donner un coup de pouce au smic, selon vous ?
Philippe Askenazy, économiste : Effectivement, même si ce n'est pas exactement cet indicateur sur lequel est basé le critère pour augmenter le salaire minimum. Il n'y aura probablement pas d'augmentation automatique d'ici le 1er janvier et donc il y a toujours une possibilité de faire un coup de pouce au smic. Je dirais que, pour le moins, le gouvernement va devoir revoir rapidement et assez substantiellement le schéma actuel des exonérations de cotisations sociales employeurs. On est dans une situation singulière. Chez nos voisins européens, lorsqu'il y a une augmentation du salaire minimum, ça se traduit notamment par plus de cotisations sociales. Donc on remplit les caisses de l'État. En France, comme les exonérations de cotisations sociales sont indexées sur le salaire minimum, lorsqu'on augmente le smic, au contraire, l'effet direct, c'est de creuser le déficit public. Donc, il y a une sorte de piège budgétaire dans lequel sont tous les gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite. Or, ils se trouvent en face d'une très forte demande sociale pour une augmentation ou une revalorisation salariale. Or, il y a peu d'outils. On peut indexer les salaires, mais je ne pense pas que ce gouvernement le fera. On peut jouer notamment sur le salaire minimum. Donc ça, c'est un paramètre très franco-français.
Et puis surtout, il y a notre environnement européen qui va changer de manière spectaculaire dans les deux années qui viennent. À la sortie de la crise du Covid, nos partenaires européens se sont accordés sur le fait que cette course vers le bas, le moins-disant social, avait été délétère pour l'économie européenne. Il y a donc eu une directive salaire minimum en 2022. Une traduction, par exemple : le ministre allemand du Travail a annoncé que du fait de cette directive, le salaire minimum allemand allait augmenter de l'ordre de 20% d'ici 2026, ce qui va le mettre à 15 euros de l'heure. Si on avait un tel niveau en France, ça correspondrait à 1 800 euros nets pour un salarié à 35 heures par mois.
"Lorsqu'on dit que c'est irréaliste, les 1 600 euros du Nouveau Front populaire, et qu'on va avoir 1 800 euros en Allemagne, 1 700 euros en Belgique, le statu quo va être intenable pour un gouvernement."
Philippe Askenazyà franceinfo
Je pense donc que le gouvernement va à la fois devoir modifier les systèmes d'exonération et devoir augmenter le salaire minimum en France.
Une réflexion a été lancée par le précédent gouvernement sur la question des exonérations. Selon les derniers chiffres de la Dares, du ministère du Travail, les salaires en France progressent plus vite que l'inflation. Concrètement, est-ce que ça veut dire que ça va mieux pour notre pouvoir d'achat ?
Le pouvoir d'achat des salariés du privé s'améliore. Ce n'est pas le cas pour le public, il n'y a pas de progression pour le public. C'est essentiellement la chute des prix de l'énergie qui permet de favoriser ce pouvoir d'achat. Mais il faut bien voir que, en tout cas dans les prévisions actuelles de l'Insee, cette amélioration ne comblera qu'un cinquième des pertes de pouvoir d'achat en 2022 et 2023. Donc on est encore loin du compte et c'est pour cela qu'il y a cette pression pour une augmentation salariale aujourd'hui.
Il y a une autre question qu'on pose souvent, celle d'un recul de la productivité française. Est-ce un problème et quelles sont les solutions ?
Déjà, on a quand même un petit peu changé le scénario : au départ, on avait un vrai décrochage de la France par rapport à nos voisins européens, on connaît plutôt, depuis la crise du Covid, une forme de stagnation sur l'ensemble de l'Europe, y compris en France. Donc, c'est moins noir pour la situation française, mais c'est vraiment une situation Europe versus États-Unis. Et c'est bien pour cela, justement, que l'Europe cherche à renouveler sa politique pour faire monter en gamme l'économie européenne et regagner en termes de compétitivité et de productivité.
Vous êtes membre du Haut Conseil des rémunérations, installé par la ministre du Travail sortante, Catherine Vautrin. Est-ce que ce Haut conseil poursuit ses travaux ?
Pour l'instant, ils sont suspendus depuis la dissolution. C'est en quelque sorte normal dans le schéma politique. Nous sommes non rémunérés, donc cette suspension ne coûte rien à l'État. Je dirais que par ailleurs, quand même, les travaux se poursuivent sur cette idée globale de désmicardisation de l'économie française. Il y avait deux grands axes. Celui de cette architecture des exonérations de cotisations sociales en France, qui freineraient, les progressions salariales. Et celui de la problématique des temps partiels. Une part importante de la pauvreté laborieuse, ce sont des femmes, essentiellement des femmes, qui sont à temps partiel et un temps partiel subi. Donc ces deux grands chantiers, d'une certaine manière, se poursuivent.
"Aujourd'hui, on ne sait pas si le gouvernement Barnier va continuer à se saisir du Haut conseil des rémunérations. Je pense que oui."
Philippe Askenazyà franceinfo
Moi, je suis une personnalité qualifiée, mais le Haut Conseil des rémunérations est composé essentiellement des partenaires sociaux, côté patronal comme syndical, et dans une volonté de dialogue. C'était typiquement comme cela qu'il était conçu ce Haut conseil. C'est de cette manière-là que les partenaires sociaux le voyaient.
Quelle est la question primordiale que va devoir se poser le nouveau gouvernement sur le travail, selon vous ?
Elles sont multiples. Il y a effectivement une problématique de rémunération, mais je pense qu'il ne faut pas oublier la question du travail lui-même. Très souvent, on se ramène à une question de salaire et des questions de budget, de chiffres, alors même qu'il y a toutes sortes de questions sur le travail, sur sa soutenabilité, on l'a vu lors de la réforme des retraites. Vous parliez de Bruno Le Maire, il y a eu de multiples interrogations sur les arrêts de travail pour les dénoncer, en quelque sorte. Mais tout cela est, au départ, une problématique de travail, de santé publique, de conditions de travail, de vieillissement de la population. Et au jour le jour, dans les entreprises, comment gérer des absences imprévues. Et c'est justement en se posant aussi ces questions de travail qu'on trouve des solutions qui permettront de faire des économies pour les finances publiques.
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