Transition énergétique européenne : "Le plus urgent, c’est sans doute d’arrêter de se tirer dans les pattes sur nos stratégies", selon le co-président du Conseil franco-allemand des experts économiques

Les États-Unis ont développé un programme de subventions en faveur d'une énergie propre : l'Inflation Reduction Act (IRA). L'économiste français Camille Landais s'attend à impact limité en Europe et aux États-Unis et propose aux Européens de s'inspirer en partie de ce modèle.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
économiste, président délégué du Conseil d'analyse économique et professeur d’économie à la London School of Economics and Political Science (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Quelle réponse européenne face à l’Inflation Reduction Act (IRA), ce programme américain de subventions en faveur d’une énergie propre ? Quel impact en Europe, et quelles réponses Européennes ? Le Conseil franco-allemand des experts économiques publie une analyse conjointe pour répondre à ces questions. Camille Landais, coprésident de cette instance, et président délégué du Conseil d’analyse économique, la détaille sur franceinfo.

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Ces experts s’attendent à ce que l’impact macroéconomique global de ce programme américain soit très limité, tant pour les Etats-Unis que pour l’Union Européenne. S’il ne faut pas disent-ils se lancer dans une course aux subventions, l’UE peut s’inspirer de la simplicité et la rapidité de l’approche de l’IRA. La priorité européenne, plaident ces économistes, doit être de travailler ensemble à échelle européenne pour réduire les prix de l’énergie, et accélérer le développement de la production d’énergie renouvelable.

franceinfo : Pourquoi l’IRA, qui est entré en vigueur au début de l'année aux Etats-Unis, a-t-il provoqué des inquiétudes au niveau Européen ?

Camille Landais : L’Inflation Reduction Act, c'est avant tout la prise de conscience par les Américains de la nécessité de s'atteler à la transition environnementale, et c'est quelque chose de très bienvenu. Maintenant, ce qui a étonné, ce qui a un peu choqué, c'est que derrière cette transition écologique se cachent beaucoup de sujets de politique industrielle et de politique commerciale vis-à-vis de la Chine, mais aussi potentiellement vis-à-vis de l'Europe. Et ça, ça s'est manifesté parce que les Américains ont mis dans l’IRA un certain nombre de subventions, qui ont ce qu'on appelle une clause de contenu local. C'est-à-dire que ces subventions ne sont données que si les produits sont fabriqués non seulement sur le territoire américain, mais avec un certain nombre de produits intermédiaires, qui sont aussi produits sur le sol américain. Ça, ça a été perçu comme une distorsion des règles commerciales, comme une volonté de tordre l'ordre mondial.

A-t-on déjà une idée de l'impact de cette politique américaine, pour nous Européens ?

Il est encore trop tôt pour avoir un impact, même s'il devait y en avoir un. Ce que nous avons fait dans cette note, dans ce travail conjoint avec nos homologues allemands, c'est d'essayer de quantifier quels pourraient être les effets à long terme de l'ensemble de ces dispositions. La première chose dont on se rend compte, c'est qu'il y a énormément d'incertitudes sur le coût total de ces mesures. Mais en revanche, du point de vue de leur impact, même dans le cas où le coût total serait vraiment très, très élevé, on reste dans des ordres de grandeur qui sont suffisamment petits pour que l'impact macroéconomique total, à la fois aux États-Unis mais aussi sur l'Europe, soit relativement limité. Évidemment, derrière cet impact agrégé macroéconomique limité pourraient se cacher des enjeux sectoriels très forts. On a parlé, en particulier, des enjeux sectoriels sur les voitures électriques, avec cette idée qu'avec ces clauses de contenu local, on aurait un départ massif de la production des véhicules électriques vers les États-Unis. Il se trouve qu'aujourd'hui, ce qu'on a compris, c'est qu'il y a un vice dans cette clause de contenu local : elle ne s'applique pas aux véhicules qui sont vendus en leasing. Tout le monde s'était immédiatement engouffré dans cette option du leasing, et on pense qu'il y aura relativement peu d'effet sur le secteur automobile européen.

Gagnerait-on à s’inspirer en partie de l’Inflation Reduction Act ?

Je pense que la première chose qu'il faut dire, c'est qu'on a des politiques vraiment très différentes, et il faut quand même qualifier cette différence. Je pense que la politique européenne est beaucoup plus équilibrée, sans doute beaucoup plus efficace parce qu'elle s'attelle aussi à mettre un prix sur le carbone, ce que les Américains ne veulent pas faire. Eux, leur politique, c'est essentiellement une politique industrielle qui vise à subventionner l'investissement et la production dans les secteurs énergétiques et un peu dans le secteur des véhicules électriques, dans l'hydrogène, ce genre de choses. Nous, on a décidé de mettre un prix sur le carbone en plus de la politique industrielle. Ça, je pense que c'est une bonne chose. Maintenant, la grosse différence, c'est que les Américains sont très bons, ils sont très pragmatiques et le fait de mettre en place ces subventions qui sont très près du marché, ça donne un côté très prévisible. Les gens savent quand ils vont investir, qu'ils vont toucher ces subventions. Le système européen est basé sur des subventions qui sont beaucoup plus en amont, plutôt de la recherche-développement, qui parfois demandent des procédures d'application qui sont très longues, très incertaines. Et donc je pense qu'on a énormément à gagner de cette facilité d'accès aux subventions dans le modèle américain.

Qu'est-ce qui doit être la boussole européenne en matière d'investissements verts ?

Il y a tout un tas de sujets autour de quels sont les domaines dans lesquels on doit effectivement investir pour développer des avantages comparatifs technologiques. Ce qu'on dit dans ce rapport, c'est que sans doute, le domaine où il y a vraiment un énorme degré d'urgence, c'est la transition énergétique. On a des défis en termes énergétiques à la fois pour les Allemands et pour les Français, qui sont colossaux. Et nous, ce que nous disons, c'est que le plus urgent, c'est sans doute d'arrêter de se tirer dans les pattes sur nos stratégies en termes de transition énergétique : que le nucléaire français après tout, c'est très bien, que la stratégie hydrogène allemande, on en aura sans doute besoin, et que plutôt que d'essayer de se bloquer les uns les autres, on devrait bénéficier des choix différents qui nous procurent de l'assurance au niveau agrégé européen.

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