Prix Goncourt 2022 : qui sont les "infréquentables frères Goncourt" à l’origine du prix littéraire centenaire ?
L’intrus de l’actu donne chaque soir un coup de projecteur sur une personnalité qui aurait pu passer sous les radars de l’actualité.
C'est un indissociable duo du XIXe siècle. Même si le plus jeune des frères Goncourt, Jules, meurt très tôt à 39 ans, Edmond, l'ainé, a toujours dit qu'ils avait imaginé ce prix à deux pour donner ses lettres de noblesse au roman, un genre considéré comme un peu féminin et futile à l'époque. Impossible de les dissocier tant ils ont tout partagé, la plume, l'appartement, les maitresses. À tel point que, après la mort de Jules, Edmond dira toute sa vie qu'il est veuf.
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Découvrir qui ils sont permet sans doute de comprendre un peu mieux ce prix qui aujourd'hui leur ressemble plutôt. Bernard Pivot, qui a présidé au choix du Goncourt pendant cinq ans, n'aurait jamais imaginé rejoindre une autre académie que celle-là. "J'étais plus fait pour l'académie Goncourt que pour l'Académie française où le costard, les discours, les prix de la vertu, tou ça ce n'est pas tout à fait pour moi", expliquait-il à la télé suisse RTS en 2016.
Le duo d'écrivains semble maudit
Personnages aussi brillants qu'odieux, les frères Goncourt sont à la fois peintres, écrivains, journalistes, ils travaillent pour le théâtre ou comme critiques littéraires mais seront surtout extrêmement méchants. Leur biographe, Pierre Ménard, parle des "infréquentables frères Goncourt". Edmond, qui nait en 1822 à Nancy sous Louis XVIII, est un garçon baraqué mais timide et triste, il écrit qu'il pense souvent au suicide. Là où Jules, qui nait huit ans plus tard, est chétif physiquement mais toujours de bonne humeur.
Ils portent le nom Goncourt à cause du village de Goncourt, en Haute Marne, acheté par leur grand-père trois ans avant la révolution française. C'est une famille de fermiers qui s'est enrichie. Les deux frères n'auront donc jamais besoin de travailler. Ils se lancent dans le dessin puis dans l'écriture un peu par hasard, à la mort de leur mère. Edmond qui a fait des études de droit quitte son poste de comptable et avec Jules qui termine ses études, ils partent en voyage, jusqu'en Algérie. À côté des dessins, ils se mettent à donc écrire.
Hélas pour eux qui rêvent de postérité, le duo semble maudit. Le premier roman écrit à quatre mains sort le 2 décembre 1851, le jour du coup d'Etat de Louis Napoléon Bonaparte. Paris est à feu et à sang. Ils en vendront 64 ! la faute au coup d'État, diront-ils. Visiblement, c'est surtout très mauvais. C'est à cette époque que Jules commence à écrire un journal. "Le" journal, au départ top secret, il sera publié plus tard, après sa mort dans différents journaux et Edouard continuera de l'alimenter. C'est leur œuvre la plus intéressante qui raconte l'époque - toujours de façon incendiaire.
Deux purs réactionnaires
Il faut dire que politiquement ce sont deux purs réactionnaires. Ils rêvent de réintroduire le XVIIIe siècle, jusque dans la décoration de leur appartement. Ils sont très remontés contre Voltaire et Rousseau. Ils veulent un roi et de l'ordre, tout en semant le désordre avec leurs critiques. Les retours sont très variables. André Gide dit qu'il les lit "pour apprendre comment ne pas écrire". Huysmans au contraire dit que le style Goncourt lui a donné envie de prendre la plume. Edmond reçoit parfois du papier toilettes taché au siège des journaux qui le publie. Mais plus on l'agresse, plus il mort. Une citation au hasard : "Balzac aurait mérité de vivre dix ans de plus et Victor Hugo dix ans de moins". Personne n'y échappe. Même ceux qui fréquentent le Grenier, leur salon parisien le dimanche : Théophile Gautier, Flaubert, Zola et plus tard Alphonse Daudet dans la maison duquel Edouard meurt finalement à Draveil en 1896.
Le prix Goncourt, lui, arrive très tard. Toujours cette obsession de la postérité. Edouard qui n'a pas d'enfant vend finalement tous ses tableaux et fonde cette académie pour soutenir des nouveaux talents. Chaque année, dix académiciens recevront 6 000 francs (à peu près 25 000 eurois d'aujourd'hui). Il en exclut les poètes et les fonctionnaires. Et il demande que soit créé un prix du roman qui verra le jour sept ans après sa mort, en 1903. D'autres prix seront créés dans la foulée, Renaudot, Académie française. Mais au jury du Goncourt, c'est clair, il sera toujours de bon ton de s'écharper.
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