Attentat de Nice : au procès, des familles s'entendent parler pour la première fois d'un sujet jusque-là "resté tabou"
Dans beaucoup de familles, l'attentat n'était qu'effleuré, sans jamais rentrer dans les détails. Avec leurs dépositions, la parole se libère enfin et la douleur se partage.
Des familles plongées dans l’horreur et six ans de non-dits : voici ce qui ressort des trois dernières semaines au procès de l’attentat de Nice, devant la cour d’assises spéciale de Paris. Trois semaines de témoignages des parties civiles : des mères, des frères, des enfants racontent ce 14 juillet 2016, quand un terroriste a tué 86 personnes et fait des centaines de blessés avec son camion, sur la promenade des Anglais.
Beaucoup de victimes étaient en famille ce soir-là, et c’est aussi en famille qu’elles sont venues témoigner à Paris. Bilel, 24 ans, ses parents et ses sœurs se sont succédés vendredi 8 octobre à la barre : eux étaient au feu d'artifice du 14-Juillet, lui les a rejoints juste après l’attentat. "C'est vraiment toute la famille qui a subi les conséquences de ce 14-Juillet, témoigne-t-il. Et du coup, pour nous, c'était très important de se retrouver tous ici, en même temps, pour que tout le monde soit là, les uns pour les autres." Et pour se prendre dans les bras les uns les autres.
Pourtant, dans cette famille très soudée, le silence s’est installé depuis six ans, dans le sillage du camion. "Dans tous les moments qu'on passait ensemble en famille, on essayait de ne pas parler de l'attentat : c'était un sujet tabou, explique Bilel. Tout le monde était encore trop traumatisé, j'avais l'impression de vivre avec des épaves à la maison. A chaque moment de bonheur, comme un repas ou une sortie, on finissait par évoquer l'attentat, en se disant qu'on avait failli perdre la famille, ou mon père qui me disait : 'T'as failli finir orphelin.' C'était juste des petites phrases qu'on balançait comme ça, sans rentrer dans les détails. On a tous appris ici, au procès, ce qu'on avait à se dire..."
"Il y avait cette nécessité d'en parler dans le lieu ou la justice se fait" confirme Olfa, la grand sœur de 36 ans. Elle est très marquée par la culpabilité de sa cadette, qui n'était pas sur la promenade. "J'ignorais la culpabilité que ma petite sœur a ressentie, j'ignorais qu'elle s'était sentie autant en détresse de ne pas pouvoir nous sauver de nos démons par rapport à l'attaque, explique-t-elle. Elle s'en excuse, alors qu'elle en a pourtant fait beaucoup, et elle ne s'en rend pas compte. Moi aussi j'en éprouve, de la culpabilité : c'est facile de dire aux autres qu'ils n'ont pas à culpabiliser. Mais au fond, en fait, on est envahis par une culpabilité énorme."
Partager la douleur, "parfois douloureux, mais nécessaire"
Olfa, sa fille de deux ans en 2016, et sa famille, sont rentrés en vie, ce soir-là. La Niçoise pense aux victimes endeuillées. Elle les écoute sur la webradio du procès. "Cela éveille forcément des souvenirs, de l'empathie, continue Olfa. Quand j'entends une maman parler du fait qu'elle a enterré sa fille qui avait quasiment le même âge que la mienne... Ma fille, sur le moment, j'ai cru la voir mourir. On s'identifie beaucoup à ceux qu'on entend." "Ecouter les autres témoignages est très douloureux, poursuit Olfa, mais c'est paradoxalement en même temps rassurant de se dire que l'on n'est pas totalement déconnectés quand on vit cette douleur. Elle est réelle et elle est commune à tous et à toutes. C'est parfois compliqué, mais nécessaire. Il y a même comme une espèce de devoir de soutien."
Une solidarité réconfortante pour son frère Bilel. Lui suit les audiences dans la salle de retransmission à Nice, au palais Acropolis, tous les jours au début, mais après trois semaines de récits de victimes, il ne supporte plus.
"C'est vraiment une claque dans la tête : quand je suis le procès, je m'effondre souvent. Je suis devenu hypersensible au sujet de la mort depuis l’attentat : je ne supporte pas de voir quelqu'un pleurer la mort de quelqu'un, par exemple."
Bilelà franceinfo
Bilel cite en exemple la famille Borla, qui était le soir de l'attentat sur la promenade des Anglais et dont la fille, Laura, treize ans et demi, est morte ce soir-là. "On les voit tous les jours à Acropolis [le palais des congrès de Nice,où sont retransmises les audiences] et leur témoignage m'a complètement anéanti, se souvient Bilel. Je suis sorti de la salle, j'ai pleuré. Beaucoup de personnes sont venues me soutenir, me réconforter je ne recherchais pas d'aide et je l'ai quand même trouvée."
"Nous, les victimes et parties civiles, on se voit comme une grande famille, décrit le jeune homme. C'est à dire que même si on ne se connaît pas, on a tous vécu un traumatisme de la même expérience. Et vu qu'on partage cette chose, cela crée des liens forts." Bilel continue donc à suivre le procès, avec sa famille et les autres victimes, pour chercher des réponses. Ils attendent beaucoup des auditions lundi de François Hollande, Bernard Cazeneuve et François Molins, les anciens présidents, ministre de l’Intérieur et procureur chargé de l’antiterrorisme. Après ces auditions lundi, les parties civiles continueront à témoigner pendant encore deux semaines.
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