"Comme beaucoup de jeunes, je vais sans doute quitter le pays" : en Irlande, la crise du logement au cœur de la campagne des européennes
L'Irlande est un pays prospère mais manque cruellement de logements. Les loyers se sont envolés, les crédits sont inaccessibles. "L’Irlande est un eldorado. Si vous arrivez ici, vous ne serez jamais expulsés. Dans ces conditions, évidemment les étrangers viennent en Irlande" : voici ce qu'avance l’extrême droite, sans complexe dans un pays où se loger est devenu impossible. Ce thème occupe la campagne des élections européennes et bouleverse le pays tout entier.
Deux tiers des moins de 34 ans vivent chez leurs parents
La crise immobilière est telle qu'elle fait fuir des jeunes à l’étranger. JJ Tuite, étudiant au Trinity College, en plein centre de Dublin, en est un bon exemple. Il habite chez ses parents dans l’ouest de la capitale. Il a minimum trois quarts d’heure de trajet pour venir en cours, pourtant jamais il n’a imaginé louer un appartement. Dans ce secteur, un studio lui coûterait au moins 2 200 euros par mois. Il sait qu'acheter est impossible. Même s’il trouve rapidement un travail après ses études, un logement pour lui seul, c’est inimaginable. Alors, il va s’exiler : "Comme la plupart des jeunes ici, en particulier avec la crise du logement et les prix qui s’envolent, je n’ai aucun espoir d’obtenir un prêt immobilier dans les 10 ou 15 prochaines années."
"Beaucoup de gens de mon âge partent en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, aux États-Unis. C’est ce que je vais faire, je vais sans douter quitter l’Irlande."
JJ Tuite, étudiant à Dublinà franceinfo
Les deux tiers des moins de 34 ans vivent encore chez leurs parents. Le Premier ministre, nommé il y a moins de deux mois, sait bien l’importance de ce problème. D’ailleurs dès son premier discours, Simon Harris s’en est emparé : "Aux jeunes, je dis : votre avenir est ici, en Irlande. Nous devons régler la question du logement définitivement. Nous avons besoin de plus de maisons et de propriétaires. Nous allons construire 250 000 logements au cours des cinq prochaines années."
Mais cette situation ne touche pas seulement les jeunes, c’est tout le pays qui souffre. À Dublin, en dix ans, les loyers ont presque doublé. Officiellement, 13 500 personnes sont à la rue aujourd’hui en Irlande. Un chiffre en dessous de la réalité, affirment des spécialistes qui parlent en fait du double.
L'Irlande, paradis fiscal, attire les entreprises étrangères... et leurs salariés
Pourtant, l’Irlande est un pays prospère qui connaît le plein-emploi et des investissements records. Pour expliquer cette crise du logement, il faut remonter au début des années 2000. Le pays est en plein boom économique. Les particuliers achètent des logements comme un placement. Ils veulent les louer et gagner de l’argent. Déjà, les ménages modestes n’arrivent plus à devenir propriétaires.
Lors de la crise financière en 2008, le marché s’effondre et les crédits immobiliers impayés sont repris par des fonds d’investissement. Des constructions sont interrompues faute de moyens. Et alors que le pays redémarre, ces fonds, uniquement guidés par le profit, font flamber le prix de l’immobilier, à la location comme à l’achat. L’Irlande, qui déjà manque de logements, voit la situation empirer.
Les gouvernements successifs ont fait le choix d’attirer des géants de la tech comme Amazon, Google, Meta. Pour ces compagnies, l’Irlande est un paradis fiscal. Le résultat est qu'on estime à plus de 120 000 le nombre de salariés de ces multinationales, essentiellement à Dublin. Des gens bien payés, dont beaucoup viennent de l’étranger, contribuent à la raréfaction des offres et à l’augmentation des prix. Aujourd’hui en Irlande, vous trouvez 14 fois plus d’offres à court terme sur AirBnb que de locations longue durée classiques. S’ajoute à cela une législation qui permet aux propriétaires de se débarrasser de leurs locataires très facilement. Comme le marché est extrêmement tendu, s'ils veulent augmenter les loyers et que vous ne pouvez pas suivre, on vous indique la sortie. Un autre prendra la place à un tarif plus élevé.
L'extrême droite en embuscade
Toute cette situation a des conséquences politiques visibles : l’émergence d’une extrême droite qui était jusqu’ici très discrète. Un moment a frappé tout le pays : le 23 novembre 2023, en plein centre de Dublin, une émeute fait d’importants dégâts. Des bus, des voitures de police et même un tramway ont été incendiés. Quelques centaines d’hommes déterminés ont affronté la police aux cris de "Trop c’est trop" ou "L’Irlande aux Irlandais".
Ce rassemblement, organisé rapidement via une messagerie cryptée, faisait suite à l’attaque au couteau de trois enfants et d’une assistante maternelle. L’agresseur, installé en Irlande depuis plus de 20 ans et naturalisé, est d’origine algérienne. L'attaque a fait effet d'une étincelle pour ces émeutiers, dont la colère vient d’abord se nicher dans la crise du logement. Une crise qu’ils imputent uniquement aux étrangers, trop nombreux selon eux. Depuis, plusieurs centres d’accueil de migrants ont été attaqués, incendiés parfois.
Politiquement, ce rejet se retrouve dans le discours du Irish Freedom Party, un mouvement d’extrême droite présidée par Hermann Kelly. Candidat aux élections européennes, cet ancien attaché de presse de Nigel Farage, l’un des fers de lance du Brexit au Royaume-Uni, fait campagne contre l’immigration et contre l’Europe : "Avant, quand nous étions un État souverain indépendant avec des contrôles aux frontières, nous savions qui entrait dans le pays. Le boulot du gouvernement c’est de dire à ceux qui viennent illégalement : vous serez expulsés. C’est ce dont chaque pays a besoin."
"L’Union européenne est une partie du problème, absolument : les frontières ouvertes, la liberté de circulation."
Hermann Kelly, candidat d'extrême droite aux élections européennesà franceinfo
Ces dernières semaines, des dizaines de tentes sont apparues dans le centre de Dublin. Ce sont des réfugiés qui, eux non plus, n’ont pas de logement.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.