"Dans tous les secteurs, c’est le chaos" : en Algérie, des élections législatives sur fond de lassitude et de contestation
Les électeurs algériens sont appelés aux urnes samedi 12 juin pour élire leur nouveau parlement. La campagne s'est déroulée dans une indifférence quasi-générale.
À Alger, la fièvre électorale ne s’est pas vraiment emparée des électeurs. Les habitants semblent plus préoccupés par les examens de fin d’année de leurs enfants ou par le fait de savoir si leurs proches installés à l’étranger pourront venir au pays pour passer leurs vacances cet été malgré la pandémie de Covid-19.
Cette élection intervient après la grande vague de contestation anti-régime qui a précédé la mise sous cloche du pays pour cause de pandémie, et les difficultés de la vie quotidienne ont pris le dessus. Une morosité générale s’est installée.
Les élections, c’est la même chose chaque année ! C’est des gens qui parlent, bavardent tout le temps, mais après il n’y a rien. Je n’ai pas voté, je n’ai même pas la carte de vote, ça ne sert à rien.
Racha, femme au foyerà franceinfo
Sur le plan économique, les revenus pétroliers sont en baisse et cela se voit : les Algériens constatent le délabrement des secteurs publics qui tombent en ruine, se désespère Nouha, une jeune étudiante en médecine. "J’aimerais bien que la situation de notre pays change, mais je sais que ça va prendre beaucoup de temps. Dans tous les secteurs, c’est le chaos. Honnêtement je suis à l’hôpital et vraiment je vois la détérioration de la situation. À l’hôpital Mustapha Pacha, il y a moins de moyens ! Des fois, pour suturer des patients on ne trouve même pas des gants… Je sais pas ce que l’avenir me réserve", s’inquiète-t-elle.
Où en est le Hirak ?
En toile de fond, le Hirak. Malgré la manifestation du 30 avril, le mouvement populaire est en perte de vitesse. Une répression sévère s’est abattue sur ses militants. Plus de 200 d'entre eux, notamment Karim Tabbou, figure du Hirak, ont été arrêtés. S'ajoutent à cela l’épidémie de coronavirus et le confinement qui ont brisé la dynamique populaire, reconnaît Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrès, parti d’opposition qui boycotte l’élection.
La motivation est d’autant plus importante aujourd’hui parce que nous vivons une répression sans précédent.
Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrèsà franceinfo
"On va dire aux gens 'le Hirak n’existe plus'. Pourquoi ? Quel est le critère pour en arriver à cette conclusion ? Un mouvement populaire n’est pas droit, parfois il est très fort, parfois il diminue, mais ce n’est pas parce que les marches se sont arrêtées ou ont diminué que l’esprit du Hirak, la volonté, la détermination de rompre avec ce système, la volonté d’aller vers la construction d’un État de droit, d’une justice indépendante et garantir les libertés aux algériens, c’est fini", poursuit Zoubida Assoul, dont le parti d’opposition boycotte l’élection.
L'opposition en ordre dispersé
Tous les partis d'opposition ne boycottent pas le scrutin : certains ont malgré tout décidé de participer à ces élections pour éviter un retour en arrière. "Durant des décennies, il était évident qu’il n’y avait aucune possibilité de changer le système, après le Hirak de 2019 et 2020 il s’est opéré une brèche importante dans le système", justifie Sofian Jilali, président de Jil Jadid, le mouvement Nouvelle génération. "Vous avez des dizaines d’anciens hauts responsables à tous les niveaux qui sont aujourd’hui face à la justice. Si toute l’opposition devait rester sur une position radicale et de refus, le pouvoir se renfermera de nouveau et agira de telle façon à rétablir les équilibres tels qu’il les considère lui."
Du côté des autorités algériennes, l’enjeu de ce scrutin législatif est d’imposer un agenda politique pour espérer regagner une confiance perdue. "Pour le pouvoir, dès le moment où ils ont organisé l’élection présidentielle ils se sont empressés de changer la constitution, là c’est la troisième étape, celle des élections législatives. Pour le pouvoir, il s’agit de continuer à dérouler sa feuille de route qui va se conclure avec les élections locales d’ici la fin de l’année. Et d’une certaine façon de chercher une forme de légitimité qui était complètement abîmée par le mouvement populaire dès février 2019, mais ça m’étonnerait qu’ils réussissent leur pari", analyse Karim Kébir du journal La Liberté. Notamment parce qu’en Algérie, le parti ultra-majoritaire reste toujours celui des abstentionnistes.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.