Millî Görüs : l'association turque dans le viseur de l’exécutif après notamment son projet de mosquée à Strasbourg
La Confédération islamique Millî Görüs est considéré comme un agent infiltré de la Turquie par le gouvernement, ce dont elle se défend, assurant être indépendante.
Une association qui va "à l'encontre des valeurs de la République". C’est ainsi que le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal décrit la Confédération islamique Millî Görüs (CIMG), mise sur le devant de la scène récemment avec le projet de construction d'une mosquée à Strasbourg, et d’une école musulmane à Albertville. Pourtant, Millî Görüs est connue depuis bien longtemps en France par les autorités. On est très loin d’une officine occulte : cela fait déjà plus de 25 ans qu’elle est présente sur le territoire sous ce nom. La confédération s'est développée via la diaspora turque et gère dans notre pays 71 salles de prières et mosquées sur les plus de 2 500 recensées sur le territoire.
"Des ennemis de la République" pour Darmanin
À l’origine, il s’agit d’un mouvement politique en Turquie. L’actuel parti au pouvoir, l'AKP, en est issu mais on compte de nombreuses scissions entre les deux mouvements. La philosophie de Millî Görüs est résumée par Samine Akgonul, historien, politologue et directeur du département d’études turques à l’université de Strasbourg. "S'il y a ingérence de l'Etat turc, ce n'est pas à travers Millî Görüs, il y a un réseau de l'islam officiel, le Ditib pour ceci [Ditib : Diyanet Isleri Türk Islam Birligi, ou Union des affaires culturelles turco-islamiques]. Mais, il y a un certain nombre de sujets nationaux sur lesquels Millî Görüs peut tenir le même discours qu'Ankara, comme l'islam sunnite, comme la question du halal, comme la prière, mais aussi des sujets nationalistes comme le génocide des Arméniens de l'Empire ottoman." Millî Görüs prône donc une vision de la société ancrée dans un islam sunnite conservateur.
Pour le ministre de l’Intérieur, Millî Görüs fait partie "des ennemis de la République". Une déclaration de Gérald Darmanin faite il y a un mois en réaction à plusieurs polémiques. Millî Görüs est vu par l'exécutif comme l'agent infiltré de la Turquie et se retrouve donc dans son viseur. En particulier depuis son refus de signer la charte des principes de l'Islam de France début avril où les signataires s’engagent à lutter contre l'islam politique et contre les ingérences étrangères. Millî Görüs se justifie : la charte est ambiguë et "démontre l’ingérence des politiques dans le religieux".
"Une organisation indépendante envers n'importe quel État"
Ce qui passe mal aussi du côté du gouvernement, c'est le projet d'ouverture d'écoles. Un amendement au projet de loi "séparatisme" a même été déposé pour que les préfets puissent s'opposer à l'installation d'établissements hors contrat sous influence étrangère. La confédération est alors explicitement visé. Incompréhension du côté de Fatih Sarikir, le président de Millî Görüs en France et secrétaire général du Conseil français du culte musulman : "Nous stigmatiser en pleine période électorale en faisant des amendements qui nous touchent, ça nous blesse. Si vous parlez de Millî Görüs, c'est quand même une organisation qui a toujours été indépendante envers n'importe quel État, y compris la Turquie. On n'est plus jugé sur des faits, on est uniquement jugés sur des spéculations, sur des suppositions, sur des amalgames frustrés et on est blessés."
Fatih Sarikir subit aussi personnellement ces polémiques et a reçu une menace de mort qui l'accuse "d'être au service de l'islamisme turc". Il n'y a pour le moment aucune école officiellement estampillée Millî Görüs en France. Mais la confédération a déjà une structure pour gérer des établissements privés islamiques, fondée en 2016 par Fatih Sarikir, le président de Millî Görüs, elle fédère des établissements privés. Certaines écoles ont pu bénéficier de soutien financier de la confédération mais elles restent toutes indépendantes insiste Fatih Sarikir.
"Tout le monde est focalisé sur les écoles privées musulmane"
À Corbeil-Essonnes, il y a l'une des plus anciennes écoles affiliées à cette structure. Une école installée en 2013, au sein même de la mosquée de la ville et qui regroupe 250 élèves de la maternelle au lycée. Pour les parents d'élèves interrogés, l’aspect confessionnel n'est pas leur priorité. "C'est pour le bien de nos enfants, déclare un père de famille. Ils ont un très bon niveau en français et en anglais parce que dans le public, il y a un peu de l'abandon. Les enseignants sont un peu démunis, il y a tellement de choses à régler qu'ils ne peuvent pas tout régler. On n'en parle pas beaucoup mais il y a des écoles juives ou des écoles catholiques, tout le monde est focalisé sur les écoles privées musulmanes." Pour un autre parent, "il y a un grand écart entre ce qui se dit et la réalité. Malheureusement, on a un peu diabolisé. Tout ce qu'on veut, c'est donner la meilleure éducation à nos enfants, comme tout le monde."
Fatih Sarikir, le président de Millî Görüs l'affirme, ces écoles sont déjà largement contrôlées : "Les établissements privés hors contrat musulmans sont soumis à des contrôles inopinés de l'inspection du travail et des forces de l'ordre ou des inspecteurs de l'Académie. Tout le personnel est contrôlé chaque année. L'objectif, que nous nous donnons est de pouvoir donner un cadre d'enseignement digne afin que nos élèves soient parfaitement épanouis dans la société dans laquelle ils vivent, qu'ils soient fiers d'être Français et musulmans." C'est pourquoi Fatih Sarikir veut maintenir son projet d'école Millî Görüs à Albertville. Interrogé par franceinfo, le ministère de l'Intérieur confirme qu'il s'opposera à cette ouverture d'école mais ne demande pas la dissolution de Millî Görüs.
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