"On est des otages dans notre propre maison" : au Liban, la crise économique continue de s'aggraver
Au Liban, la monnaie nationale est en voie de disparition. Alors qu'avant le début de la crise économique en 2019, le plus gros billet - 100 000 livres - valait 70 euros, il vient de passer sous la barre symbolique des 1 euro. Il a donc perdu 98% de sa valeur.
Face à une dévaluation extrême, beaucoup de commerçants préfèrent désormais afficher les prix en dollar. "On a switché progressivement avec la crise, de la livre libanaise au dollar américain", raconte Karim, en pleines courses dans un supermarché de l'est de Beyrouth. "C’est plus pratique, parce qu’avant, on arrivait au supermarché avec des liasses d’argent. Maintenant on peut payer en dollar. Parce qu’on importe tout finalement, le pays ne produit rien. Donc ce sont les vrais prix qui sont affichés dans les supermarchés. Le reste n’était que mensonge", estime le quinquagénaire.
"C’est beaucoup plus simple : notre économie est dollarisée."
Karim, habitant de Beyrouthà franceinfo
Le problème, c’est que contrairement à Karim, la majorité de la population est toujours payée en livre libanaise, comme Séréna, âgée de 30 ans. "Nos salaires ne suivent pas l’inflation, c’est injuste !", dénonce-t-elle. "Remplir le frigo, c’est devenu très cher. On achète juste le nécessaire, le minimum pour survivre."
Braquer sa banque, pour récupérer ses propres économies
Selon les Nations Unies, la moitié de la population dépend désormais de l'aide humanitaire. En effet, la plupart des Libanais n’ont plus de filet de sécurité, pas de retraite ni d’assurance santé. Et depuis la crise financière, qui s'accentue chaque jour un peu plus dans le pays, leurs économies sont bloquées dans les banques. Les retraits sont rationnés par les autorités. "C’est la catastrophe", se désolé Zeina, 60 ans, qui tente de récupérer quelques billets à un distributeur. "Notre propre argent est bloqué, on ne sait pas quoi faire. On est des otages, mais dans notre propre maison. Pas de travail, pas d’argent … Ce n'est pas juste."
"Je ne sais même pas comment je vais payer l’électricité à la fin du mois."
Zeina, Libanaise de 60 ansà franceinfo
Comme tout le monde, Zeina pointe la responsabilité de la classe politique corrompue au pouvoir. Car si depuis 2019, les Libanais comme elle ne peuvent plus retirer leur argent, beaucoup de politiciens et de directeurs de banque ont pu sauver leurs économies. "Que ce soit chrétiens ou musulmans, ils sont tous dans le même bain", accuse la sexagénaire. "Ils ont transféré leur argent à l’étranger, ils vivent très bien. Par contre nous, la population, elle crève quoi !"
Une situation qui a fait émerger un phénomène il y quelques mois : des dizaines de Libanais, parfois armés, qui braquent leur propre banque. Pour l’instant, aucun d’entre eux n’a été condamné. Car si braquer sa banque est bien évidemment illégal au Liban, empêcher un déposant de retirer son argent l’est également.
Braquer sa banque, pour récupérer ses propres économies
"Nous volons, entre guillemets, notre propre argent. Entre nous, nous préférons appeler ça un 'retrait version 2.0'", raconte George*, qui a donné rendez-vous à franceinfo dans un parking souterrain. "Il s'agit d'un retrait bancaire, mais qui nécessite des méthodes musclées, alors que c’est notre droit le plus total". Cet homme, qui se dit prêt à braquer le directeur de sa banque très prochainement, souffre d’une maladie chronique. Il a besoin des 100 000 dollars placés sur son compte pour se soigner. "Pour être très clair : aujourd’hui, poussés au désespoir et forts de notre bon droit à la survie, nous sommes prêts à tout."
"Dans un retrait 2.0, le braqueur est le héros. Et le voleur, c’est la banque."
George, Libanaisà franceinfo
George fait partie de l’une des plus importantes associations de défense des droits des déposants libanais, Mouttahidoun. Son fondateur, le juriste Rami Ollaik, soutient ces braqueurs amateurs. Il justifie l’utilisation de la violence contre les directeurs des institutions bancaires : "Malgré les preuves, aucun n’a été arrêté", rappelle-t-il. "La justice n’agit pas, personne n’est mis devant ses responsabilités. Donc on ne peut pas dire aux déposants qui meurent aux portes des hôpitaux, ou qui ne parviennent pas à nourrir leur famille, d’attendre gentiment que la justice se réveille".
"Leur épargne est entre les mains des propriétaires de banques qui sont des voleurs", poursuit Rami Ollaik. "Ils dépensent sans compter, et se fichent de la souffrance des gens. Donc il faut aider les déposants à se faire justice eux-mêmes, et à récupérer leur argent." Ces braquages ne sont par ailleurs pas sans risque. Les banques recrutent en effet des agents de sécurité privés, souvent armés. De véritables milices, embauchées pour protéger leurs agences et les domiciles de leurs puissants dirigeants.
∗ Le prénom a été modifié
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