Pénurie de médicaments : le prix d'achat de certains traitements est-il trop bas ?
Tous les pays du monde sont victimes de pénuries de médicaments, mais peut-être davantage la France. Car avec l'explosion de la demande mondiale de médicaments et des laboratoires pharmaceutiques qui peinent à suivre et à fournir tout le monde, certains de ces fabricants préfèrent clairement délaisser la France pour vendre en priorité leurs médicaments à des pays plus offrants.
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Jérôme Wirotius alerte aujourd'hui nos autorités de santé. Pour le directeur général du laboratoire Biogaran spécialisé dans les génériques, qui fabrique et vend en majorité dans l'Hexagone, il n'est plus rentable de vendre des médicaments à la France. "L'amoxicilline pédiatrique est à 0,76 euro, indique Jérôme Wirotius. Donc vous avez le médicament, un flacon en verre, un bouchon, une pipette, un emballage et une notice pour 0,76 euro."
"Avec l'inflation et la régulation économique, nous nous retrouvons en marge négative sur ce produit, et ce n'est pas le seul malheureusement. Nous perdons de l'argent."
Jérôme Wirotius, directeur général du laboratoire Biogaranà franceinfo
Selon lui, la France négocie trop bas les prix des médicaments, en particulier des génériques, c'est-à-dire les molécules les plus anciennes qu'on utilise pour les maladies du quotidien : le paracétamol, les antidiabétiques, les corticoïdes ou encore les antibiotiques. "Typiquement la prednisolone, qui est un corticoïde très utilisé, est quatre fois plus cher en Italie qu'en France et six fois plus cher en Allemagne qu'en France", détaille le directeur général du laboratoire Biogaran.
Des médicaments à bas prix, d'autres très chers
En France, la Sécurité sociale, c'est-à-dire les cotisations des Français, supporte l'essentiel du coût du médicament, environ 30 milliards d'euros par an. Cette année 2023, comme tous les ans, le gouvernement espère faire des économies sur ce poste : 900 millions d'économies. Au cœur de cette machine, il y a le Comité économique des produits de santé (CEPS), composé de représentants du gouvernement et de la Sécurité sociale. Il négocie directement avec les laboratoires pharmaceutiques. Il fixe le prix des nouveaux médicaments sur le marché et réévalue régulièrement le prix des anciens médicaments à la baisse. "Si vous prenez le marché de n'importe quel produit comme l'automobile ou la télévision, si vous avez des produits qui arrivent pour concurrencer des produits en place, ils vont exercer une pression à la baisse, explique Philippe Bouyoux, président du CEPS. Nous faisons un peu la même chose. Un produit qui arrive et qui augmente la concurrence mais qui n'apporte pas grand-chose aura un prix plus faible et à terme, la classe entière pourra baisser."
"Un produit qui arrive, nouveau et innovant, c'est-à-dire qu'il apporte quelque chose, on lui fixera d'entrée un prix plus élevé que les produits qui étaient déjà en place. Donc ça peut être des produits très chers, voire très très chers."
Philippe Bouyoux, président du CEPSà franceinfo
On parle de médicaments innovants qui sauvent des vies, qui guérissent des malades jusqu'alors incurables. Mais des médicaments qui sont sans doute trop chers. "On explose les records un peu tous les ans, déplore Gaëlle Krikorian, sociologue et spécialiste de l'économie des produits de santé. Aujourd'hui, sur des traitements contre des maladies orphelines qui touchent un nombre limité de personnes, on peut avoir des traitements qui coûtent un, deux ou trois millions la dose. Sur les anticancéreux, on est à des douzaines de milliers d'euros ou centaines de milliers d'euros par personne. Donc voilà le genre d'échelle dans laquelle on est."
"Cela pose la question de pourquoi est-ce qu'on accepte de tels niveaux de profit sur des produits qui sont des produits vitaux ? Je pense que c'est un débat qu'on devrait avoir."
Gaëlle Krikorian, sociologueà franceinfo
Le principe en France est de faire baisser auprès des fabricants le prix des vieux médicaments pour permettre à l'autre bout de la chaîne de financer des traitements innovants proposés très chers. Sachant que dans les négociations avec les laboratoires du monde entier, le CEPS a la réputation d'être féroce. Et pour cause : il ne peut pas se permettre de "couler la Sécu" française, il doit tenir son budget.
Une hausse de prix pour certains médicaments dans les prochains mois
Pour les industriels, ce système n'est plus tenable pour les médicaments de tous les jours. Ils perdent de l'argent. Les grands principes français atteignent donc leurs limites. Le gouvernement vient donc d'accepter de faire une exception, explique le président du CEPS Philippe Bouyoux : "Face à ce type de situation, nous pouvons répondre par une hausse de prix. On peut accorder, le gouvernement vient de nous demander de le faire, des hausses ciblées sur certains produits qui sont des produits stratégiques, c'est-à-dire des produits qui sont essentiels et des produits sur lesquels on pourrait avoir des vulnérabilités en matière d'approvisionnement."
Cette hausse de prix de certains médicaments génériques interviendra dans les prochains mois. Le gouvernement assume aussi de faire un geste commercial sur le prix des médicaments des laboratoires qui fabriqueront en France. L'idée, c'est qu'en aidant ces laboratoires à maintenir leur production chez nous, on permet aussi, en cas de pénurie mondiale, de sécuriser les approvisionnements de notre pays en médicaments stratégiques.
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