Pertes financières abyssales, crainte d'investissements mafieux : sans touristes à cause du Covid-19, Venise sombre et s'inquiète pour son avenir
En temps normal, le tourisme vénitien représente trois milliards d'euros par an. Avec les mesures de restriction sanitaire, le secteur ne génère plus de recettes et les commerçants ne s'estiment pas toujours suffisamment aidés. Mais la crise est l'occasion, aussi, d'imaginer le monde d'après.
Il n'y aura pas de carnaval à Venise en 2021. Venise, ville d'art et de culture, est au bord du gouffre. Même sa lagune n’a plus autant de charme. La capitale de la Vénétie et ses 260 000 habitants ne semblent pas voir d'issue à la crise du Covid-19.
Imaginer "un tourisme plus responsable"
Sur la célèbre place Saint-Marc, il n'y a pas un chat, pas même une mouette. Pas un bruit non plus quand Renato Costantini, le directeur du célèbre Florian, nous ouvre la porte de son café vieux de 300 ans et fermé en raison de l’épidémie. "Les portes sont historiques donc un peu fragiles et on entre directement dans le café", explique le commerçant vénitien. Il reste tout de même une alarme que Renato Costantini éteint avant d'allumer les lumières des nombreuses pièces du café. Il s'installe seul à table dans la salle du Florian, où défilent habituellement chaque jour 2 000 personnes.
"Nous faisons un chiffre d'affaires de huit millions et demi d'euros par an normalement. En 2020, on a fait six millions de moins et l'État nous a donné seulement 160 000 euros."
Renato Costantini, patron du Florianà franceinfo
"On demande des aides plus consistantes car on doit payer les frais fixes, le loyer, poursuit-il. Sans tourisme, Venise meurt mais nous au Florian et moi comme Vénitien je souhaite un tourisme plus responsable quand ça repartira, pas tous ces groupes, moins de touristes mais avec plus de pouvoir d’achat. C’est maintenant qu’il faut y penser, c’est sûr !" Dépité et sans grand espoir, Renato Costantini referme les portes du Florian.
À quelques pas de là, une autre institution, la Fenice, vide elle aussi mais au travail car l'orchestre donne quelques concerts gratuits sur internet. Une répétition au piano-forte avant que Fortunato Ortombina, le surintendant et directeur artistique du théâtre arrive sur scène. "Nous sommes sur la scène, au milieu de la quille d'un bateau mais attention ce n'est pas une épave après un naufrage, c'est un bateau que la Fenice s'est construit elle-même pour naviguer vers un monde nouveau."
Au-delà de la poésie, Fortunato Ortombina reste inquiet pour l'avenir : "J'ai bien plus peur pour 2021 que pour pour 2020. Au niveau économique, ce sera une année difficile car un tiers de nos ressources viennent de la billetterie, donc on doit compenser, on doit trouver un système pour avoir une saison viable mais on n'a pas de visibilité c'est très difficile".
La crainte d'investisseurs "rapaces"
Si les restaurants et les lieux culturels vénitiens sont encore fermés c’est parce que la région est encore considérée comme à risque. Mais si les musées, les théâtres n’ont pas rouvert, c'est aussi parce que la mairie l'a décidé et pas seulement l'État.
Nous prenons le vaporetto (bateau-bus) en direction de la gare puis posons le pied sur la terre ferme où l'adjoint au tourisme Simone Venturini nous attend. "Il faut savoir quand est-ce que ça a un sens économique d'ouvrir les 19 musées. Il y a ceux qui sont gérés par l'État et ont des ressources, entre guillemets, infinies, puisque l'État paie. Mais les musées de la ville ont des règles et doivent être à l'équilibre. Si on les ouvrait aujourd'hui, ça nous coûterait des millions et comme on ne peut pas sortir de chez soi et que tout est fermé, ça n'a aucun sens d'ouvrir les musées !"
Sans touriste, Venise n'a plus un sou. Le secteur pèse trois milliards d’euros par an. L’an dernier, la ville a perdu deux milliards et demi selon Claudio Scarpa, le directeur de l'association vénitienne des hôteliers. Il voit Venise fragilisée, à la merci d'investisseurs pas toujours recommandables. "On nous appelle de France, d'Allemagne, d'Autriche, et ça on l'accepte mais il peut aussi y avoir des capitaux illicites. Récemment on a eu une alerte sur les Chinois mais franchement ils m'inquiètent beaucoup moins que la 'Ndrangheta de Calabre' et les 'Casalesi de Campanie'. Le ministère public a fait un travail exceptionnel et a découvert des infiltrations mafieuses et ça c'est vraiment angoissant !"
Dans la brume de l'hiver Venise perd finalement sa magie. Venise qui ne peut pas vivre sans tourisme cherche encore le tourisme de demain.
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