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Reportage
A bord du porte-avions "Charles-de-Gaulle", une vigilance de tous les instants : "On sait que les Russes qu'on croise, eux, sont en guerre"
Quelque part en mer Rouge, de jour comme de nuit, c'est un ballet millimétré. Quotidiennement, entre 20 et 30 Rafale sont catapultés, passant de 0 à 200 km/h en trois secondes depuis le pont d'envol du porte-avions Charles-de-Gaulle. "On a l'impression de piloter une fusée, sourit le commandant Nicolas. Mais en fait, on est des hommes complètement normaux." Combinaison kaki, plus de 2 000 heures de vol au compteur, le commandant Nicolas a déjà dix ans d'expérience sur le navire de guerre tricolore. "Si vous voulez en savoir un peu plus, j'ai un call-sign de guerre : Gillette." Direction l'est de l'Europe pour "Gillette", alias le commandant Nicolas. Au programme, le survol de la Roumanie jusqu'aux frontières de l'Ukraine, dans le cadre de la mission Air Shielding, réalisée en coopération avec les pays alliés de l'OTAN. "Nous, nous ne sommes évidemment pas en guerre contre la Russie, mais on sait que les militaires russes qu'on croise dans les avions, qu'on croise dans les bateaux, sont en guerre depuis le 24 février. Ce n'est pas le même schéma mental."
Depuis le 24 février 2022 et l'invasion russe en Ukraine, explique le commandant Nicolas, la pression à bord des Rafale n'est plus la même. "Je ne veux pas dire qu'on a peur, pas du tout. Mais quand on vous confie un Rafale qui vaut des millions d'euros, on vous confie des règles d'engagement, des règles de comportement. Dans les gestes qu'on fait, dans les interceptions qu'on fait, on est très professionnels pour éviter toute méprise. C'est une pression qu'il faut qu'on apprenne à gérer, c'est essentiellement ça qui a changé depuis le 24 février." La méprise, c'est l'étincelle qui mettrait le feu aux poudres. C'est ce qui oblige les pilotes français à flirter sans cesse avec le danger, à jouer avec leurs limites.
"La mort, on y pense que très rarement et en fait, on essaie de lui échapper un peu tous les jours. Disons que si on danse, c'est nous qui donnons le pas."
Le commandant Nicolas, pilote de Rafaleà franceinfo
Alors, si les Rafale partent bien chargés de missiles, ils n'effectuent, à ce jour, que des missions de surveillance sur le flanc oriental de l'Europe, une sorte de police de l'air. La France montre les muscles sans provoquer personne. "C'est l'esprit", confirme le capitaine de vaisseau Vincent, le commandant du groupe aérien embarqué. "Là où, post 24 février, les choses étaient très nouvelles, avec pas mal de tension et d'appréhension, maintenant, on a un peu de recul et de sérénité dans les vols que l'on effectue. Il y a une espèce de frontière hermétique qui n'est franchie ni par les uns, ni par les autres. Nous restons dans l'espace aérien des pays de l'Otan. On voit les Russes à distance. C'est pareil du côté russe."
"Il y a clairement une volonté de ne pas accroître le niveau des tensions systématiquement."
Le capitaine de vaisseau Vincentà franceinfo
Si le Charles-de-Gaulle est une base aérienne mobile connu pour propulser des Rafale, le pont d'envol accueille aussi un drôle d'avion : le Hawkeye, littéralement l'œil de faucon. Cet avion de 25 mètres d'envergure est au cœur des opérations de renseignements.
L'appareil de surveillance est bardé de capteurs et de radars et il est surmonté d'une immense coupole, un "rotodôme". "Il a une espèce de gros radar au-dessus de la cellule, explique le capitaine de corvette Hassan. Lorsque vous mettez un Hawkeye au-dessus de la France, vous voyez au-delà des frontières." Le capitaine de corvette Hassan assure la visite guidée. "Ce n'est pas comme un avion civil, on n'a pas de capitonnage. C'est vraiment un appareil dédié à la mission, c'est ça qui fait un peu son charme. Les gens aiment bien avoir des vieilles voitures de collection, ce n'est pas forcément les plus confortables ou les plus rapides, mais ce sont celles qui ont le plus de charme. Cet avion, il a un charme fou par ce côté assez ancien. Vous le constatez, d'ailleurs : en fait, on est assis sur nos parachutes."
Ce bijou de technologie était déjà utilisé par les Américains pendant la Guerre froide et il est plus que jamais remis au goût du jour. "C'est un avion qui est extrêmement utile pour les forces armées. On a du préavis tactique, on est capable de détecter loin. On est capable de détecter de l'activité électromagnétique et ça, ça donne une appréciation autonome de situation aux forces armées françaises."
"Avec des vols en Roumanie ou en Bulgarie, on est capable d'avoir des informations sur les compétiteurs."
Le capitaine de corvette Hassanà franceinfo
Les informations récoltées par les Hawkeye sont traitées en vol et à bord du Charles-de-Gaulle. Avec, depuis un an, un constat implacable : le porte-avions français est collé de très près, parfois un peu trop, par des navires et des avions russes. C'est ce que constate, le capitaine de vaisseau Pierre. Il dirige le centre opérationnel. "L'objectif, c'est de prendre la menace telle qu'elle est et d'avoir la réaction la plus graduée et mesurée. Il est hors de question de se faire survoler par des aéronefs qui ne sont pas maîtrisés, qui ne sont pas 'amis', avec lesquels vous ne travaillez pas. La confrontation est possible. On sait qu'une agression est possible. C'est pour ça qu'on a élevé notre niveau de vigilance."
La vigilance est aujourd'hui de tous les instants. Ces nouvelles menaces ont durablement changé le cours de la vie du porte-avions Charles-de-Gaulle, toujours considéré comme un fleuron de l'armée française.
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